Une «réserve climatique» pour les petites récoltes
- Samedi 19 novembre 2016
Les vignerons vaudois planchent sur l’instauration d’un système qui permettrait de stocker du vin d’année en année pour pallier les petites récoltes.
On parlait d’une poire pour la soif, les vignerons vaudois diront dorénavant un tonneau pour la disette. Evoquée par le conseiller d’Etat Philippe Leuba à l’occasion de la récente assemblée générale de la Fédération vaudoise des vignerons, et relayée sur le site thomasvino.ch ce mercredi 16 novembre, l’idée de «réserve climatique» fait son chemin dans les vignes et les esprits. Réuni hier avec le conseiller d’Etat, le comité de la Communauté interprofessionnelle du vin vaudois (CIVV) en a admis le principe. Les détails doivent encore être affinés pour une entrée en vigueur l’année prochaine au plus tôt.
5% de la récolte mise de côté
Le concept: mettre de côté 5% d’une récolte généreuse que l’on pourra libérer, durant trois ans (soit 15% cumulés au maximum), lors d’années moins abondantes. «Nous en sommes aux grandes lignes, au stade d’un avant-avant- projet de règlement», indique Philippe Leuba. Le conseiller d’Etat n’a pas sorti cet instrument de son chapeau. Appelé communément «plafond limite de classement» (PLC), il existe dans d’autres pays ou régions viticoles. Il avait même été introduit dans le canton de Vaud en 2000, mais pour une très courte durée (lire ci-dessous).
L’ouvrage n’est pas remis sur le métier par hasard. «Le contraste entre les récoltes 2016, généreuse, et 2015, une des plus petites de ces dernières années, est très marqué, explique Gilles Cornut, président de la CIVV. Une telle réserve permettrait de lisser ces différences, liées aux aléas climatiques.»
Pourquoi les lisser? Car la variation entre les millésimes – 30% entre 2015 et 2016 – convient mal au marché. Par crainte de n’avoir pas assez de stock, les grands distributeurs ont peu fait la publicité du vin vaudois 2015, dont les qualités sont pourtant vantées. Aujourd’hui, il reste donc des bouteilles à écouler auxquelles s’ajoutent celles à venir. Le système de réserve climatique aurait permis d’éviter, ou tout le moins d’atténuer, le «trou» de 2015. Et ainsi de stabiliser le marché. «On peut assimiler cette réserve climatique à une prévoyance», continue Gilles Cornut.
Réserve vendue en AOC ou déclassée
Il reste encore beaucoup de détails juridiques à analyser. Mais le principe convainc. «Cela reviendrait à donner deux possibilités d’agir par rapport à la récolte, explique Gilles Cornut. Une première fois en avril, lorsque nous fixons les quotas (ndlr: décidés chaque année par l’Etat et l’interprofession, pour chaque région viticole) et une deuxième fois en décembre.» C’est à ce moment-là que la réserve climatique serait soit libérée (en cas de forte demande ou de petite année) et vendue en qualité AOC, soit déclassée et écoulée en vin de table ou vin industriel (environ dix fois moins cher).
Côté consommateur, les implications seraient moindres et plutôt positives. Le coupage, déjà autorisé entre les millésimes, resterait inchangé. Et une augmentation des quotas de 5% ne risque pas de modifier la qualité des vins, assure Gilles Cornut. Le principe permettrait aussi au consommateur de ne pas être confronté à la pénurie ou à une fluctuation trop grande des prix.
Pour mémoire
L'idée d'un "Plafond limite de classement" (PLC) avait déjà été balayée en 2000
Le principe de «plafond limite de classement» (PLC) s’est déjà frayé un chemin en 1999 dans le vignoble vaudois. En accord avec l’interprofession, la conseillère d’Etat à l’Economie, Jacqueline Maurer, a mis cette nouvelle norme au point pour restreindre la commercialisation des vins vaudois, par crainte de l’effondrement du marché. Le règlement cantonal, entré en vigueur en juin 2000, a pourtant fait long feu. Il prévoyait que seuls 80% de la récolte pourraient être commercialisés en AOC. Les 20% restant seraient libérés dans le courant de l’année selon les besoins du marché, ou déclassés. C’est la fronde des «petits» vignerons-encaveurs qui a tué le règlement dans l’œuf. A coups de manifestation sur la place Saint-François et de recours au Tribunal administratif, ceux qui estimaient que le PLC allait à l’encontre de leur liberté de commerce ont eu gain de cause en avril 2001, sans que le principe puisse être appliqué. La «réserve climatique» a davantage de chances de passer auprès de la base, selon Gilles Cornut: «Il existait une méfiance envers le négoce de la part des petits producteurs, explique-t-il. Aujourd’hui, nous travaillons ensemble sur le même marché, contre les produits étrangers.»