Tessin, terre d’avenir du merlot
- Lundi 05 octobre 2015
Le cépage roi du Tessin sera-t-il bientôt vinifié en assemblage? Vignerons, chercheurs et gastronomes font le tour de la question.
Aujourd’hui, le Tessin est le terroir par excellence du merlot. Mirko Rainer, sommelier et gérant du restaurant Atenaeo del vino à Mendrisio (TI) l’a constaté lors de ses déplacements professionnels: «C’est facile de trouver un merlot en monocépage au Tessin. C’est une autre histoire en Italie et en France, à part dans le Bordelais, où les prix ont tendance à gonfler.»
Les vignerons sauront-ils pour autant défendre le roi de la viticulture tessinoise malgré des températures en hausse, une consommation plutôt en berne et un marché sans cesse plus mondialisé? Quel sera le vin tessinois de la prochaine génération?
Une première étape nous conduit dans le vignoble d’un jeune œnologue de Brissago, Fabio Zanini (25 ans). Après sa formation acquise à Changins (VD), il a créé en 2014 la cave Giromit. Si son père, son grand-père et son arrière-grand-père cultivaient déjà la vigne en activité secondaire, Fabio Zanini a, lui, décidé d’en faire son métier. «À côté des vieux ceps de merlot dont j’ai hérité, j’ai planté du barbera, mais mon cheval de bataille reste le merlot. En cultivant d’autres cépages, je pourrai cependant proposer un plus grand choix de vins à l’avenir. Et je suis toujours poussé à essayer de nouveaux parfums, de nouvelles notes, des structures différentes.»
À Coldrerio, Enrico Trapletti, vinificateur confirmé, ne mise pas non plus uniquement sur le merlot: «En amoureux du terroir, j’aime également creuser le potentiel du sol. Notre travail exige un esprit rationnel et un cœur passionné. Il faut aussi savoir prendre des risques: il y a quatorze ans, j’ai planté du nebbiolo; je le vinifie aussi bien en monocépage qu’en assemblage. Ce choix n’est pas dû au hasard: dans la région de Mendrisio, le nebbiolo était cultivé avant le merlot, sous le nom local de spanna.»
Changement climatique favorable
Sans rien ôter à sa majesté le merlot, Fabio Zanini et Enrico Trapletti ont également choisi de vinifier d’autres cépages: «Une alternative envisageable uniquement pour qui cultive, vinifie et vend soi-même ses produits.»
Une approche partagée par Mirto Ferretti, du centre de recherche agronomique Agroscope, à Cadenazzo: «Le merlot survivra. Mieux encore, il bénéficiera du changement climatique. Preuve en est la hausse constante du taux de sucre: la moyenne cantonale a augmenté de 6° Oechslé en seulement douze ans. Mais le vin de demain doit également répondre à une production toujours plus respectueuse de l’environnement. Et cela, le merlot ne peut pas le faire! Nous devons donc nous diversifier.»
«Le merlot est lʼimage que nous cultivons de ce côté du Gothard»
Andrea Conconi, Directeur de Ticinowine
Expert en merlot, Urs Mäder, d’Ascona, n’est pas d’accord avec ce scénario. Il cite quelques-unes des solutions concrètes avancées par des chercheurs suisses et européens. «Une demi-douzaine de variétés résistantes aux maladies fongiques ont été homologuées. Ces variétés exigent beaucoup moins de traitements, indique le scientifique Mirto Ferretti. Dans les rouges, citons le divico, répertorié par Agro-scope. Ce cépage, fruit d’un croisement entre le gamaret et le bronner, présente les caractéristiques requises pour produire des vins hauts en couleur et riches en tanins de bonne qualité.»
Le chercheur se demande pourquoi ne pas amener la viticulture durable dans la vallée et concentrer le merlot sur le terroir viticole? Le galotta, par exemple, a convaincu l’œnologue Fabio Zanini: «J’ai été séduit par sa structure puissante, sa belle couleur et son parfum de fruits des bois et de confiture.»
Aujourd’hui, le paysage vitivinicole tessinois se compose à près de 85% de merlot. «Il le sera pour la prochaine génération, notamment pour des raisons commerciales. C’est l’image que nous cultivons de ce côté-ci du Gothard», explique Andrea Conconi, directeur de Ticinowine, l’office tessinois pour la promotion vitivinicole. «Pour preuve, le succès du merlot blanc qui atteint aujourd’hui 22% du volume total des vins tessinois.»
Même son de cloche du côté de Sylvia Berger, responsable du secteur des vins chez Coop: «Les Suisses alémaniques aiment le merlot tessinois. D’ailleurs, grâce à l’été caniculaire, nous avons assisté cette année à une augmentation des ventes de vin blanc, au détriment du rouge. J’entrevois un développement favorable des merlots vini-fiés selon les techniques modernes. Mais les classiques barriqués resteront.» «Il est néanmoins important de pouvoir continuer à proposer du merlot à des prix abordables, avertit Daniele Maffei, œnologue, directeur de l’Azienda agraria de Mezzana et juré de plusieurs concours. Notre merlot doit faire partie du plaisir ordinaire de chacun.»
«Le merlot doit faire partie du plaisir ordinaire de chacun»
Daniele Maffei, de la cave cantonale de Mezzana
La complexité d’un monocépage
En tout cas, les touristes veulent goûter le vin local et souhaitent connaître son paysage et ses fruits, affirme Mirko Rainer, au contact permanent avec les hôtes de son restaurant et bar à vin à Mendrisio. «Même les clients tessinois recherchent de plus en plus le merlot en monocépage. Et ce sont précisément ces étiquettes qui me rendent le plus fier, étant donné que l’art de produire un monocépage est le plus complexe. Une telle bouteille mérite donc un prix approprié. Les assemblages sont produits à l’étranger, laissons-leur cet avantage», conclut le sommelier Mirko Rainer.