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Copeaux contre tonneaux

  • Dimanche 20 mars 2016
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Issus des mêmes procédés de sélection du chêne, les copeaux sont employés pour aromatiser le vin. Quant aux tonneaux, selon le style de vin qu’il veut créer, l’encaveur sélectionne un chêne français (finesse aromatique et complexité tannique), américain (apport aromatique intense et volume en bouche), européen ou caucasien (révélateurs de fraîcheur aromatique). 

On estime à 2% les vins dans le monde élevés en barrique. Dans un magasin standard, on trouve en moyenne 30% de vins avec un goût boisé. Si on se rapporte au pourcentage énoncé plus tôt, ça signifie que 24 vins sur 30 ont été aromatisés aux copeaux. 

Duel

«Si le vin est bien fait, les meilleurs dégustateurs ne font pas la différence.» Alexandre Truffer, Journaliste spécialisé

«Tous les plus grands vins du monde sont élevés en barrique.» Didier Joris, Vigneron-éleveur 

A ma gauche les copeaux, à ma droite, les tonneaux. Alexandre Truffer et Didier Joris se sont prêtés au jeu du débat. Pour tous deux, l’important est que le vin en sorte vainqueur.

La barrique est au vin ce que la particule est au nom propre: le symbole de la noblesse. Depuis 1789, on sait que la grandeur d’âme peut se passer de particule. En est-il de même pour les vins?

Au-delà du romantisme lié à la barrique, nous avons voulu comparer les deux méthodes de vinification. D’un côté, Didier Joris, vigneron-éleveur à Chamoson qui n’a pratiquement jamais vinifié autrement que dans du bois. De l’autre, Alexandre Truffer, journaliste spécialisé, qui s’est sacrifié pour le rôle (difficile de trouver un avocat pour les copeaux). Petite précision d’Alexandre Truffer: «Je ne suis pas ici pour défendre les copeaux, juste pour en expliquer le rôle.»

Mettre des copeaux dans un vin, c’est mettre le diable dans la bouteille?

AT Non, je ne vois pas pourquoi le diable serait dans la bouteille, car si le vin est bien fait, à la dégustation, il n’y a aucune différence. Marier nécessairement le vin à la barrique est une vision poétique. Oui, les tonneaux, c’est joli, mais du point de vue du consommateur, l’utilisation de copeaux n’est qu’une évolution technique qui ne pose pas de problème fondamental.

DJ La différence, c’est qu’on ne peut pas mettre un vin médiocre en barrique parce qu’on va complètement le détruire. Uniquement les grands vins supportent la barrique. Si au niveau gustatif, on a peut-être du mal à faire la différence, il faut savoir qu’un grand vin se modifie très peu par la barrique. C’est un peu comme la pointe de sel qu’on ajoute en cuisine pour sublimer un mets. Si on en met trop, on bousille le plat, si on n’en met pas assez, le met sera fade.

Avez-vous déjà apprécié un vin aromatisé avec des copeaux?

AT Sans doute. Il y a des grandes appellations qui font des vins dans lesquels les copeaux sont autorisés sans que le consommateur ne soit informé. A ma connaissance, très peu d’AOC interdisent les copeaux. Dans les premiers grands crus vaudois, on peut utiliser les copeaux. Idem dans la plupart des appellations européennes...

DJ Comment le savoir, vu qu’il n’y a pas d’obligation de l’indiquer.

Aucunement?

AT Jamais. D’ailleurs, le vin est bien le seul produit alimentaire pour lequel on ne doit pas indiquer tous les composants.

Il y a une vision idéale du vin.
 On a envie que ce soit une boisson issue du seul jus de raisin...

AT C’est utopique! On a de tout temps travaillé avec des correcteurs, des améliorateurs, des additifs. Les Romains pouvaient ajouter plus de 50 ingrédients – tous n’étaient pas utilisés en même temps – dans un vin pour éviter sa détérioration.

Revenons à nos copeaux, même un bon dégustateur ne peut pas faire la différence?

AT Même pour des spécialistes, c’est impossible. On peut se trouver devant un vin élevé dans une barrique par un gars qui ne sait pas vinifier, le résultat sera mauvais et a contrario, avoir un bon vinificateur qui a travaillé une belle matière première avec des copeaux, et déguster un excellent vin.

DJ C’est vrai. Mais n’oublions pas la question de l’oxygénation. Un élevage en barrique assure une lente oxygénation qui bénéficie au vin même si nos papilles ont du mal à l’identifier.

AT On peut discuter du phénomène de l’oxygénation attribué à la barrique. Il semblerait qu’après une ou deux utilisations, l’oxygène ne passe plus à travers le bois. De plus, aujourd’hui, la plupart des caves sont équipées pour rajouter de la micro-oxygénation. Elles copient le procédé pour en limiter les coûts.

DJ Ce ne sera jamais identique! Car la pénétration lente d’oxygène, l’aromatisation fine de la barrique est un processus qui apporte de la complexité au bouquet. Ce qu’on n’aura jamais avec les copeaux. Utiliser la barrique, c’est grandir un vin et élever sa puissance aromatique.

En parlant de coût...

AT C’est là que réside la vraie différence. La barrique est beaucoup plus chère.

DJ En cuve, le litre de vinification de base revient 15 ct. En barrique pour le même volume, on arrive à 4,95 fr. pour une barrique neuve et 4,65 fr. avec des barriques de deux ou trois ans. Avec les copeaux, ça revient à 0,013 ct. le litre et jusqu’à 0,045 ct. les grammes utilisés (de 1 à 3 par litre).

AT Il faut aussi tenir compte du coût écologique. Le bilan écologique qui va dans le sens des copeaux: on transporte moins de quantité pour le même volume de vin.

On croit que le vin et le tonneau, c’est une longue histoire d’amour, que la barrique a une justification historique...

DJ C’est complètement faux. La barrique est apparue comme un moyen aisé pour le transport. Son rôle améliorateur dans la vinification date d’un peu plus de trente ans. Jusque-là, c’était un simple contenant. C’est après qu’on a développé toutes les techniques, les études sur l’aromatisation, le choix des forêts, le choix des bois, le type de séchage, la fabrication, la chauffe, etc.

Donc, la barrique, c’est pour les vins d’œnologues?

AT Pourquoi vouloir classer les vins, avec d’un côté des vins d’œnologues et de l’autre des vins qui se feraient tout seuls? La vigne ne pousse pas toute seule. C’est une liane qui a été domestiquée pour produire du raisin... Idem pour le vin. Le vin est un produit de civilisation. Un produit élaboré. Ce n’est pas quelque chose de naturel. Chaque fois qu’on lit des vieux textes sur le vin, ils nous expliquent comment le soigner. Parce que le vin n’est pas stable naturellement.

DJ Certes, le vin n’est pas stable, mais au fil des ans, on revient vers des techniques plus naturelles. On sait qu’avec des petits rendements, avec une belle matière de base, le produit se garde plus facilement. On a moins besoin d’artifices technologiques. Au niveau du moût par exemple, la maîtrise de la matière permet de supprimer le CO2. La formation de bons viticulteurs permet de faire un grand pas en avant vers un respect de la nature.

Pour conclure, quel avenir pour la barrique?

DJ Les vins issus de vieilles vignes, avec peu de rendement, seront toujours plus heureux en barrique qu’en cuve où ils sont souvent réduits. Tous les plus grands vins sont élevés en barrique sans que cela se sache. On a jamais lu sur l’étiquette de Château Margaux: «vinifié ou élevé en barrique». Il n’y a que chez nous qu’existe cette hérésie.

AT La barrique sera toujours plus réservée aux grands vins. Par contre, les industriels et les tonneliers constatent que pour les caves qui font du moyen de gamme, la barrique n’est pas intéressante, d’autant plus que personne ne sent la différence. La production de copeaux va donc augmenter.