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Paolo Basso, un sommelier au millésime gagnant

  • Mercredi 21 septembre 2016
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Texte: Emmanuel Grandjean
Vin Suisse Paolo Basso
En 2013, il était élu meilleur sommelier du monde. L’expert mondial du vin sort un livre dans lequel il donne des conseils mais où il raconte aussi son parcours de compétiteur dédié à sa passion.
 

Le livre aurait pu s’appeler In Vino Veritas. Il est intitulé Le vin selon le meilleur sommelier du monde (Favre) Sous la plume de Pierre-Emmanuel Buss, journaliste spécialisé dans le domaine du vin et collaborateur du Temps, Paolo Basso y prodigue des conseils de dégustation, analyse en détail ses cépages coup de cœur de France, de Suisse et d’Italie. Le cahier des charges habituel de ce type d’ouvrage. Plus original, le sommelier y raconte aussi sa vie, de sa naissance en Lombardie dans une famille qui aime le vin mais n’en fait pas son métier jusqu’au sacre ultime en 2013 lorsqu’il décroche le titre de meilleur sommelier du monde à Tokyo après 20 ans de compétition acharnée. «Les gens me demandent souvent comment se déroule un concours, comment j’en suis arrivé à consacrer mon existence au vin.

Un sport de haute compétition

D’où l’idée de cet ouvrage qui répond à toutes ces questions.» Lequel présente la discipline à l’égale d’un sport de haut niveau qu’il faut exercer à fond. Une métaphore de l’effort que Paolo Basso file d’autant plus volontiers qu’il pratique le vélo en quasi pro. «Le sommelier doit tout connaître des boissons servies à table. Il n’y a pas que la dégustation du vin. Il y a aussi celles des cafés, des bières, des sakés, des spiritueux. Dans le temps, il y avait même une épreuve sur le cigare.»

Horaire militaire, régime contrôlé

Horaires militaires, régime contrôlé: l’entraînement d’un sommelier réclame une hygiène de vie stricte. «Il faut éviter de trop manger avant un concours parce que l’appétit aiguise les sens, et se coucher tôt. Et surtout faire attention aux courants d’air pour protéger son nez et son palais. Car 80% des opérations se déroulent là-haut», explique Paolo Basso en tapotant son crâne. Le cerveau, l’encyclopédie des arômes, celui qui met de la poésie dans les crus, mais qui sait aussi qu’une odeur de méthane signifie que le vin a manqué d’oxygène. Une mémoire qui doit également savoir répondre à des rafales de questions théoriques sur les méthodes, les provenances, la géographie. «Un sommelier doit pouvoir parler aussi bien avec un viticulteur et un chimiste qu’avec un ingénieur en œnologie». Mais aussi résoudre des énigmes parfois incongrues. Du genre: combien de fois le mot «vin» est-il cité dans la Bible? «C’est un peu ridicule, admet Paolo Basso. Maintenant que je suis membre du jury j’essaie d’éviter ce type de sujet… Bon, le mot est écrit 241 fois. Enfin c’est ce qu’on m’a dit. Je ne l’ai pas vérifié.»

La magie du vin, dans la foulée

Fasciné depuis l’enfance par la cuisine et l’hôtellerie, Paolo Basso fait ses classes dans une école de la Valteline. La magie du vin viendra dans la foulée. «J’ai compris que c’était le produit le plus intéressant du métier. Imaginez: des étiquettes et des provenances différentes et des prix qui varient parfois d’un facteur 100… Je me disais: qui sont les fous qui achètent du vin à ce prix?» Il enquille ensuite les stages, passe d’un établissement à l’autre, d’abord en Italie puis en Suisse. Histoire de parfaire le français, la langue officielle de la gastronomie, et de perfectionner sa technique de ski. En 1986, il est engagé par l’Hôtel du Golf de Crans-Montana. C’est là qu’il va avoir sa révélation œnologique. Son chemin de Damas à lui.

Le sommelier produit son vin

Il ne quittera pratiquement plus le territoire helvétique. «A mon époque pour obtenir son permis B il fallait rester en Suisse pendant quatre ans. Si vous partiez, vous deviez tout recommencer à zéro. Alors oui, ne pas avoir voyagé a été un regret. Cela dit New York, Londres ne m’intéressaient pas vraiment. Je n’aime pas les grandes villes. Et puis à Crans-Montana, il y avait la montagne, le vélo, le ski, le vin: je vivais comme un roi.» Un roi dont le royaume se trouve désormais au Tessin. Le sommelier y habite en famille. Il y produit aussi du vin. Un rouge et un blanc – Il Rosso de Chiara et Il Bianco de Chiara – qui portent tous les deux le prénom de sa fille. «Travailler avec le produit des autres c’est très bien. A un moment j’ai quand même eu envie d’aller plus en profondeur, de remonter jusqu’au bout de la chaîne. Et comme je n’ai pas les moyens de bâtir mon propre domaine j’ai dû chercher quelqu’un qui me mette à disposition tout le matériel. J’ai étudié les producteurs qui se trouvaient autour de chez moi et j’ai trouvé Guido Brivio dont l’œnologue est l’un des meilleurs du Tessin.» Et le cru de Basso, il a de la robe, il a du corps? «J’en suis plutôt content. L’autre soir, lors d’une dégustation à l’aveugle, le rouge a été pris pour un bordelais. Ça fait toujours plaisir.»

Le titre ne se remet pas en jeu, c’est pour la vie

Depuis sa victoire en 2013, la vie de Paolo Basso a complètement changé. Il a monté son entreprise de consultant, travaille avec de grandes marques, enseigne à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Il est épaulé par Elena, sa femme, qui l’a toujours soutenu. C’est elle qui, le soir après le travail, organisait les séances entraînement, achetait les bouteilles pour les dégustations, traduisait de l’allemand les livres pour parfaire sa culture. «J’ai la chance d’avoir une compagne qui adhère à ma passion. C’est indispensable lorsque vous arrivez à ce niveau de la compétition. Il faut que votre famille comprenne que pendant un certain temps tous les week-ends et toutes vos vacances seront consacrés aux concours. Et que dépenser pour 1000 francs de vin sert aussi à atteindre ce but.» Un sommet que Paolo Basso ne peut plus reconquérir. Le titre de meilleur sommelier du monde ne se remet pas en jeu. Il est acquis pour la vie. «De toute façon je n’aurais plus l’énergie nécessaire pour replonger dans cette folie», explique celui qui a mis 20 ans pour y arriver. Au fait, quel est selon lui le meilleur vin du monde? «Il n’existe pas. Par contre je peux vous dire le meilleur que j’aie jamais dégusté. C’était en 2014, un magnum de Château Haut-Brion 1989. Un vin immense.»

 

Profil

1966 Naissance à Besnate en Lombardie

1986 Il est engagé à l’Hôtel du Golf de Crans-Montana

1993 Il doit arrêter le ski pour des raisons de santé. Il se consacre entièrement à l’étude du vin

1997 Il remporte le titre de meilleur sommelier de Suisse

2013 Il est élu Meilleur Sommelier du monde à Tokyo

 

Paolo Basso et Pierre-Emmanuel Buss, «Le vin selon le meilleur sommelier du monde. Astuces et coup de cœur», Ed. Favre, 192 p.