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Paolo Basso: «Le vin exige de la concentration»

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Texte: Xavier Filliez
Palais réputé Meilleur sommelier du monde 2013, l’Italo-Suisse a participé à une opération de promotion des vins helvétiques au Québec. Rencontre à Montréal.

D’où est venue votre passion du vin? Du métier que vous avez choisi, ou était-ce antérieur?
Je m’y suis vraiment intéressé à l’École hôtelière où j’ai étudié les cépages, les appellations, les origines. Parmi tout ce qu’on étudiait, le vin était le plus séduisant. On m’a dit que j’étais pas mal en dégustation. J’étais surtout curieux de comprendre la différence entre un vin à 10 francs et un vin à 1000 francs. Mais c’est sans doute aussi lié à mes origines, à mon enfance, chez mon grand-père, près de Varèse, en Lombardie. Il avait une cave souterraine où il faisait sombre et frais. J’aimais cette tranquillité, ce calme, ce silence. Il y a le geste de grand-papa qui va chercher sa bouteille… J’imagine que c’était une piquette (rires). Il y avait aussi la cave coopérative au village où on faisait la vinification et on se passait le gâteau à base de vin et de sucre. C’est tout ce cérémonial autour du vin qui était séduisant.

Vous avez un souvenir, un émoi, un choc lié à votre tout premier contact avec le vin?
Non, pas un souvenir en particulier. Ou alors si, un souvenir négatif. Quand j’étais à l’École hôtelière j’ai acheté un barolo, un des plus chers. Celui-là avait des tanins particulièrement prononcés. Au lieu de me dire: OK, ce n’est pas pour moi, je crois que j’ai eu l’honnêteté de dire: Peut-être que je ne comprends pas…

Pour quelle bonne raison un client devrait mettre plus de 100 ou 200 francs pour une bouteille au restaurant?
Il faut considérer le pouvoir d’achat du client, voilà tout. Je viens d’un milieu modeste. En tant qu’acheteur, il y a de nombreux vins que je ne peux pas m’offrir, c’est un peu vexant. Mais je me mets à la place du producteur: s’il peut vendre un vin à 1000 francs au lieu de 100 francs quelle bonne raison aurait-il de ne pas le faire? C’est comme tous les produits de luxe.

Vous avez participé à l’opération de promotion de la viticulture suisse au Québec lors du festival «Montréal en lumière» fin février. Quel accueil les Québecois réservent-ils aux vins suisses?
Ils sont d’abord rassurés parce que la marque suisse transmet la confiance. Ensuite, il y a un peu d’étonnement. Ils ont dégusté des choses qu’ils ne connaissaient pas. Pas des fendants d’il y a vingt ans mais des vins de précision. De l’heida. De la petite arvine. Puis, après l’étonnement vient la frustration, celle de ne pas en trouver plus. Il y a, au Québec, beaucoup de gens qui aiment notre pays. Et la communauté suisse y est nombreuse et bien établie. 

Dans quel segment les vins suisses ont-ils le plus grand potentiel d’exportation?
Je suis un grand défenseur des assemblages. Avec des assemblages, en Suisse, on peut monter d’un cran en qualité, produire des vins qui ont vraiment du caractère. Je pense par exemple aux assemblages de la cave Rouvinez, Cœur de domaine pour le blanc et Tourmentin pour le rouge.

Pour les concours, vous vous préparez comme un sportif d’élite. Au travail, vous êtes dans le commentaire, la technique, l’analyse. Appréciez-vous encore le plaisir simple du vin?
Oui, au moment du dîner ou du souper. Je bois tous les jours en quantité modérée. Un verre à midi. Un, parfois deux, le soir. Même si je me relaxe je veux avoir le plaisir de comprendre. Or, si on n’est plus lucide, on ne comprend plus ce qu’on boit. Il ne faut jamais oublier que pour comprendre le vin il faut de la concentration.  

Mais le vin c’est aussi l’échange, la célébration, la convivialité. Quel est votre plus beau souvenir arrosé?
Je crois que c’est le Nouvel-An 1999-2000. C’était la première fois que je ne travaillais pas à Nouvel-An. Je suis allé chez Didier de Courten avec mon épouse et des amis. Je lui ai demandé si je pouvais apporter une bouteille de mon millésime, ce qu’il a accepté. C’était un Lynch-Bages (Pauillac/Bordeaux).
 
Tous les sommeliers ont une anecdote embarrassante sur un client qui confond sec et doux ou qui se pavane devant ses copains alors qu’il n’y connaît rien au vin. Faites-nous rire! 
Confondre sec et doux, quand même pas! Mais certains ne font pas la distinction entre l’acidité et les tanins. Et certains n’acceptent pas les conseils parce qu’ils pensent qu’ils savent mieux. C’était le cas d’un client, un soir, qui a insisté pour commander un Château d’Yquem. J’ai essayé de le prévenir que le sucré n’allait pas très bien accompagner ce qu’il avait choisi. Rien n’y a fait. On voyait qu’il était dégoûté de l’accord mais bon, on est aussi là pour facturer. Cela dit, je milite pour qu’on enseigne davantage la psychologie de la vente dans les écoles hôtelières et moins la façon de tenir un tire-bouchon. Le but, à la fin, c’est quand même que le client revienne. J’ai aussi vu des gens très tendus se détendre après une bonne bouteille et conclure des affaires, comme accorder cinq étoiles à un hôtel qui en méritait quatre.