L’exportation quasi inexistante des vins suisses nuit à leur image
- Vendredi 19 janvier 2018
Une qualité remarquable, des spécialités rares mais une notoriété à l’étranger encore trop modeste chez les vins suisses: afin d’y remédier, Swiss Wine Promotion mise sur un positionnement haut de gamme et accompagne les producteurs sur des marchés bien ciblés.
Une qualité remarquable, des spécialités rares mais une notoriété à l’étranger encore trop modeste chez les vins suisses: afin d’y remédier, Swiss Wine Promotion mise sur un positionnement haut de gamme et accompagne les producteurs sur des marchés bien ciblés.
Avec une proportion oscillant, selon les récoltes, entre 0,5 et 1% de la production annuelle, la part de l’exportation des vins suisses dans l’économie viticole du pays est peu ou prou insignifiante. Pourtant, ce secteur d’activité est essentiel à la notoriété des vins suisses à l’étranger, laquelle est cependant encore loin d’être à la hauteur de la remarquable qualité atteinte par ceux-ci au cours de ces 20 dernières années. En résumant de façon un peu simpliste, on pourrait dire: pas d’exportation, pas de notoriété, et pas de notoriété, pas d’exportation.
Il est vrai que le marché suisse a été protégé pendant des décennies, Au mieux, on revendait à des distributeurs étrangers les volumes à vil prix au gré des surproductions. Aujourd’hui encore, avec une production couvrant sur les 5 dernières années 35% de la consommation et des caves vides, la question de l’export n’est objectivement pas la priorité. Il existe cependant un certain nombre d’acteurs pour lesquels ce décalage anachronique entre image et qualité des vins suisses ne peut être que nuisible, à la longue, à l’économie de la branche. Directeur de Swiss Wine Promotion (SWP), Jean-Marc Amez-Droz est de ceux-là.
Un positionnement haut de gamme
«Nous avons pris depuis quelques années un virage important. Il y a eu par le passé des discussions entre grandes caves pour se mettre ensemble, faire du volume à prix réduits. Mais ce n’est pas l’avenir du vin suisse, qui de toute façon n’a aucune chance face à ses concurrents sur le segment entrée de gamme. A l’étranger, la Suisse est connue pour la qualité de ses produits, son sérieux, sa fiabilité. Et le vin suisse est quelque chose de rare, avec des cépages exclusifs. Nous devons donc présenter nos vins à l’export avec un positionnement correspondant à cette image, c’est-à-dire haut de gamme. Vu sous cet angle, il ne s’agit plus de savoir si nous devons faire 200 ou 300?000 bouteilles et à quel prix. Cette nouvelle orientation permet d’inclure les petits vignerons indépendants, en leur ouvrant de nouvelles perspectives» analyse Jean-Marc Amez-Droz.
Inciter les vignerons à s’associer
Pour que Swiss Wine Promotion soutienne un projet à l’export, celui-ci doit se situer au niveau national, c’est-à-dire représenter des producteurs originaires d’au moins 3 des 6 régions viticoles. Le financement repose sur une pratique connue, 1 franc apporté par les producteurs pour 1 franc investi par la Confédération. «Le principe mis en place depuis que je suis à SWP est de maximiser le soutien que la Confédération peut nous apporter. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le facteur limitant n’est pas l’argent mis à notre disposition par l’Office fédéral de l’Agriculture (OFAG). Nous avons encore de la marge et incitons de ce fait tous les vignerons à nous présenter de nouvelles idées. Je crois beaucoup plus à des projets émanant des entreprises elles-mêmes, dans lesquels elles mettent des fonds propres. C’est la garantie d’un réel engagement, plus efficace que si SWP décidait de s’attaquer à un marché sans que personne ne suive derrière» explique Jean-Marc Amez-Droz.
Les entreprises doivent s’investir au moins 3 ans, idéalement 5 ans. Un projet concernant le marché anglais réunit actuellement des caves valaisannes, tessinoises, neuchateloises et genevoises. Pour Raphaël Garcia, directeur général de Provins et participant à cette initiative, une telle association permet de limiter les coûts et s’inscrit dans la stratégie générale de l’entreprise. « Nos objectifs sont clairs et concernent des marchés de niche haut de gamme comme Londres, le Benelux, l’Allemagne, des grandes villes asiatiques telles que Hong Kong, Singapour, ou encore la côte Est des Etats-Unis. Je n’ai pas forcément de grandes attentes sur les volumes et les marges, mais je pense qu’il est extrêmement important pour l’image des vins suisses qu’ils soient reconnus à l’étranger. Il faut garder à l’esprit que les parts de marché sont encore assez minoritaires en Suisse alémanique et qu’une meilleure exposition de nos vins au dehors de nos frontières crédibilisera notre démarche sur le marché intérieur» souligne Raphaël Garcia.
Se renforcer outre-Sarine
Améliorer l’image des vins suisses à l’étranger, afin que cette image soit aussi reconnue outre-Sarine, est l’une des principales préoccupations de SWP et des entreprises exportatrices. Sans oublier que du fait de cette absence de notoriété, les vins suisses haut de gamme se vendent actuellement en dessous de leur valeur. «L’Office des Vins Vaudois a organisé pendant 3 ans de suite une campagne au Japon, qui a eu un grand succès. Il y a eu une bonne résonnance dans les médias, cela a consolidé notre position en Suisse» explique Luc Massy, vigneron-encaveur du Lavaux qui exporte à ce jour 4% de sa production, principalement en Allemagne, au Japon, vers Hong Kong et à Chypre. «Il faut voir à long terme. Mon objectif serait d’exporter 10 à 12%. Si on devait un jour observer des ralentissements sur marché suisse, on pourrait ainsi mieux se retourner».
Etre moins dépendant du marché
Ce dernier aspect soulevé par Luc Massy n’est pas anodin. «Personnellement, je pense qu’il est dangereux d’être «monomarché». Même si la Suisse est diversifiée, écouler la totalité de la production en interne est risqué. Il suffit d’un changement de mode ou de vision, et on pourrait se retrouver en difficulté» dit Jean-Marc Amez-Droz.
«Faire savoir que l’on fait»
Un avis que Paolo Basso, meilleur sommelier du monde 2013 et producteur dans le Tessin, partage également. «Nos vignerons sont dépendants à 98% du marché intérieur. A mes yeux, c’est une fragilité incroyable. On doit se batir une réputation internationale pour sécuriser le marché vitivinicole suisse, avec une exportation haut de gamme», plaide cet ambassadeur mondialement connu du vignoble suisse. A cet égard, la politique de promotion choisie par SWP doit être selon lui encore plus volontariste. «Que SWP fédère les producteurs entre eux est une excellente chose, mais je pense que les impulsions en matière de communication doivent venir de SWP. Nous devons par exemple être plus présents sur les salons internationaux, quand bien même nous ne sommes pas sûrs que cela rapporte quelque chose dans l’immédiat. Comme disent les Bordelais, il faut faire, mais surtout, il faut faire savoir que l’on fait. Si les Suisse ne communiquent pas sur le vin, personne ne le fera à notre place. Bref, il faut être plus visible» ajoute Paolo Basso.
Les prescripteurs, des acteurs-clé
Le rôle joué par les prescripteurs est à cet égard primordial. Depuis une année, SWP a signé un partenariat avec l’Institut londoniens des Masters of Wine, qui forme des experts présents dans tous les secteurs du vin, surtout dans le monde anglo-saxon et asiatique. «Avec ce partenariat, nous sommes associés à l’ensemble de leurs activités, et il y a possibilité pour nous de placer un volet sur les vins suisses dans tous les cycles de formation, donc on commence à exister sur la carte du monde des vins» se réjouit Jean-Marc Amez-Droz.
Installé depuis 2001 en Californie, l’oenologue suisse Jean Hoefliger, qui conseille de nombreux vignobles aux Etats-Unis et en Europe, analyse le fonctionnement du marché américain. «Aux USA, les médias et les notes attribuées par des prescripteurs connus, comme Parker par exemple, jouent un rôle énorme sur le choix des consommateurs. Sous leur influence, les amateurs de vins se tournent en ce moment vers des vins plus élégants, plus fins que les vins lourds du Nouveau Monde, ce qui profite aux vins blancs suisses. On ne le dira jamais assez, le chasselas est un cépage unique. Même si l’impact des vins suisses aux USA est encore minimal, on note clairement une évolution positive depuis ces 5 dernières années.
Personne ne s’en cache, passer au statut de pays viticole prendra encore du temps. Question de mentalité sans doute, et peut-être aussi, pour certains, d’ambition. Mais une chose est sûre: les vins suisses ont tous les atouts pour imposer leur excellence sur les marchés étrangers.