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Les raisons de l'amphore

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Texte: Pierre-Emmanuel Buss, photo: David Wagnières

Photo: Marylène Chervet, œnologue du Château de Praz, utilise l'amphore pour élever une petite partie de ses vins blanc.

 

Dans le sillage du pionnier Amédée Mathier, des vignerons suisses commencent à utiliser des contenants de terre cuite pour élever leurs vins. Avec la volonté d’exprimer au mieux les spécificités de leurs terroirs.

Plus qu’un simple effet de mode, c’est l’indice d’une viticulture en quête d’authenticité. Après 2000 ans d’éclipse, les amphores sont de retour dans les chais helvétiques. Ces trois dernières années, une dizaine de producteurs issus pour la plupart de la jeune génération ont fait l’acquisition de contenants en terre cuite pour élever leurs vins: ils viennent de Lavaux (Vincent Chollet), du Vully (Château de Praz, Javet&Javet), du Valais (Valentina Andrei), de Genève (Damien Mermoud, domaine des Balisiers) ou encore du lac de Bienne (Fabian Teutsch, Anne-Claire Schott).

Propriétaires du Château de Praz (FR), au bord du lac de Morat, Marylène et Louis Bovard-Chervet ont fait le pas en 2015. Dans leur cave, ils ont installé six amphores de couleur ocre d’une contenance de 160 à 180 litres. Marylène, l’œnologue du domaine, les utilise pour élever une petite partie de ses vins blancs: «Notre principale ambition est d’améliorer la qualité. La porosité de la terre cuite permet un échange gazeux qui «ouvre» le vin sans l’apport aromatique apporté par les barriques de chêne. En ajoutant 5% de chasselas élevé en amphore et un chasselas classique vinifié en cuve inox, on gagne en complexité.»

Réveil du kvervi

La jeune femme est également séduite par «la dimension historique et originelle» de l’amphore. Une caractéristique que ne possèdent pas les œufs en béton, qui se sont largement répandus ces dix dernières années un peu partout en Europe. De son côté, Vincent Chollet a eu un vrai coup de cœur. «C’est un très beau contenant, j’ai immédiatement eu envie d’essayer, raconte le vigneron d’Aran. Et puis c’est moins lourd et moins cher que le béton.»
La renaissance des amphores a été initiée il y a une quinzaine d’années en Italie et en Espagne. Producteur à Salquenen, Amédée Mathier a été le premier vigneron suisse à se lancer en 2008, au retour d’un voyage en Géorgie. Dans ce pays, les vignerons n’ont jamais cessé d’utiliser les antiques kvervis de terre cuite. Séduit, il a commandé sept amphores oblongues de 600 à 2000 litres. Il produit deux assemblages, un rouge (syrah et cabernet franc) et un blanc à base de rèze et de marsanne vinifié comme un vin orange géorgien: le raisin égrappé et précipité dans les pots enterrés dans le sol pour une vinification spontanée.

Fort du succès de la démarche, Amédée Mathier a racheté des kvervis. Il possède aujourd’hui une vingtaine de pièces pour une production de 6000 à 8000 bouteilles par an de rouge et de blanc. «Les vrais connaisseurs achètent le blanc, juge-t-il. Le rouge est plus un produit marketing.» Il souligne un problème majeur: la terre cuite se brise très facilement: «En 2014 et 2015, nous avons eu deux petits tremblements de terre en Valais. A chaque fois un kvervi a été cassé et le vin a disparu dans le sol…»

Grandes fragiles

La grande fragilité des kvervis, amphores, jarres et autres doliums est soulignée par tous les vignerons. Et ce quelles que soient l’origine de l’argile, la forme et les modalités de conception, très différentes selon les régions. D’autres variables influencent directement le processus de vinification et d’élevage: la taille des contenants peut varier considérablement (de quelques dizaines de litres à une vingtaine d’hectolitres), tout comme leur porosité, l’épaisseur des parois, le profil de la terre utilisée et l’application éventuelle à l’intérieur d’un revêtement comme la cire d’abeille.

Dans ce foisonnement, une constante: les nouveaux conquistadors de l’amphore font référence à la symbolique du retour à la terre et à la quête de la plus pure expression du terroir. «Cela fait partie d’une quête d’authenticité, reconnaît Damien Mermoud, vigneron à Lully. De la même manière, je m’intéresse à la biodynamie. Je travaille avec le calendrier lunaire. Mais je ne souhaite pas forcément un label. Je reste un paysan avec les yeux ouverts. J’utilise ce qui est compatible avec nos conditions culturales.»
Avec sa force symbolique, l’amphore est aussi un puissant vecteur de communication. Mais à l’exception d’Amédée Mathier, aucun vigneron suisse n’ose encore mettre cet élément en avant, comme le soulignent en chœur Vincent Chollet et Marylène Bovard-Chervet: «Nous sommes en phase d’expérimentation. L’idée est de maîtriser la chose avant d’en faire un atout marketing!»