Délicieusement ringard, le perlan fête son retour
- Samedi 22 octobre 2016
(Image Laurent Guiraud). Daniel Brenner et son perlan: «J’ai envie de remettre en valeur ce nom. Il est sympathique, facile à dire et communique bien.»
Le chasselas genevois retrouve son petit nom, autrefois maudit. Un viticulteur sort les premières bouteilles.
C’est fou! Le perlan est de retour. Le chasselas genevois retrouve le petit nom qu’il a longtemps porté, après une longue traversée du désert. Comme le topinambour revient dans les assiettes et le vinyle sur les tourne-disques, le perlan tente un retour sur scène complètement inattendu.
Certes, la renaissance est discrète. Elle figure dans le nouveau règlement sur la vigne et les vins que vient d’édicter le Conseil d’Etat. On y lit, à l’article 59A: «La mention «Perlan» peut être indiquée sur l’étiquette d’un vin tranquille AOC Genève issu du chasselas.» C’est tout. Pas de cérémonie inaugurale, pas de fanfare.
C’est pourtant une petite révolution. Pendant plus de vingt ans, le perlan a été voué aux gémonies. Il était l’incarnation du petit vin genevois, produit en masse par une coopérative peu soucieuse de qualité. Quand on l’évoque, les anciens ont un rictus: «Vous parlez de ce produit pour les vitres?» C’est dire. Depuis la fin des années 80, les viticulteurs ont développé de nombreux cépages, nettement relevé la qualité et se sont distancés de ce label maudit. Mais la roue tourne.
Produit du terroir
C’est Daniel Brenner, vigneron à Saconnex-d’Arve, qui a demandé la réintroduction du perlan: «J’ai envie de remettre en valeur ce nom. Il est sympathique, facile à dire et communique bien. C’est vrai qu’il a traîné une mauvaise réputation, mais cela ne touche pas les jeunes. Les vins genevois se sont beaucoup améliorés et les consommateurs recherchent des produits du terroir. Le perlan est réservé à des vins AOC. Cela garantit la qualité.»
Le vigneron a déjà collé ses premières étiquettes. Sa production est petite, à peine 1500 bouteilles. «Je garde la mention chasselas; c’est important d’indiquer le cépage.»
L’interprofession des vins a donné sa bénédiction. «Certains vignerons étaient étonnés, raconte François Erard, son secrétaire général. Mais il n’y a pas eu d’opposition. On s’est dit que cela allait offrir des opportunités.»
Les autres producteurs vont-ils suivre? Difficile à dire, la nouvelle est fraîche. Mais le retour du perlan n’est pas mal vu. «Ce ne peut être que positif, relève Olivier Barthassat, œnologue chez Schenk, un gros négociant à Rolle, et membre de l’interprofession. C’est une manière de profiler le produit, de souligner sa provenance régionale. Avec la qualité que l’on met sur le marché aujourd’hui, il y a une carte à jouer.»
Président de la Cave de Genève, Didier Fischer est surpris par la nouvelle. «Toutes ces années, on a misé sur les cépages et les spécialités. Cela a peut-être un peu masqué les qualités du chasselas. Toute initiative pour le promouvoir est bonne à prendre. Mais il faut beaucoup de moyens pour lancer une marque. Le perlan restera peut-être l’apanage de quelques petits producteurs.»
Un hommage zurichois
Quoi qu’il en soit, le perlan n’a jamais été complètement oublié. On en trouve de discrètes réminiscences. Au café Remor, à Plainpalais, il figure encore sur l’ardoise des vins accrochée au mur. Chez Oscar, à Vernier-Village, la machine enregistreuse est d’un autre âge: elle imprime encore «perlan» à la commande d’un chasselas. Le plus bel hommage vient de Zurich. Cet été, un lecteur du Tages-Anzeiger écrivait la chose suivante: «Dans les années 80, j’étais cuisinier dans les wagons-restaurants. Je me réjouissais toujours d’arriver à Genève pour commander mes trois de perlan. Pourquoi a-t-il disparu?»
Difficiles exportations
Pareille émotion surprend venant d’ailleurs. Car le vin genevois peine à traverser la frontière. «Moins de 15% de la production est exportée», relève Didier Fischer. Et le marché alémanique est difficile à prendre. «Les Alémaniques sont orientés vers les rouges italiens ou espagnols. Pour les blancs, les Vaudois et les Valaisans sont implantés de longue date.» Les Genevois n’ont ni les volumes ni les moyens financiers pour s’implanter dans les rayons des grands distributeurs. «Ils hésitent aussi à faire les foires, relève Olivier Barthassat. Cela dit, les grandes spécialités sont vendues sur place.» Le perlan, lui, a déjà un aficionado à Zurich.
Les vins 2016 seront tout en finesse
Les vendanges ne sont pas encore terminées. Les trois quarts de la récolte sont en cave, reste à rentrer les cépages tardifs. Que peut-on en dire? L’Etat livrera un bilan complet à la mi-novembre. Mais Florian Favre, ingénieur œnologue à l’Etat, nous dresse un premier constat.
«Les vendanges se sont déroulées dans de bonnes conditions. Il n’a pas plu, le raisin est bien mûr, il n’y a pas de pourriture et peu de maladies. Cela n’était pas gagné car le printemps, humide, a été difficile et propice aux champignons. Mais l’été a été bien sec.»
Selon les premiers sondages, la qualité est plus que correcte. «Le taux de sucre est plus élevé que dans le canton de Vaud ou Neuchâtel.» Côté quantité, la production est variable selon les cépages. «Mais on arrive aux quotas dans plusieurs variétés, notamment le chasselas.» Le froid qui est arrivé depuis deux semaines rend en revanche les conditions de fermentation «plus techniques».
Reste, au final, la question fondamentale: comment sera le millésime 2016? «L’année passée, nous avons eu des vins très riches, rappelle Florian Favre. Cette année, nous serons plus sur le fruit et l’équilibre. Ce seront des vins tout en finesse, alors que 2015 était tout en amplitude.»