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Vignes gelées, vins coupés: la solution divise

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Sylvia Revello
Le Conseil d’Etat valaisan autorisera durant un an le coupage des vins AOC Valais avec 10% de vins AOC suisses, afin de soulager les viticulteurs frappés par le gel ce printemps.

Les millésimes valaisans 2017 pourront contenir un peu de vin d’autres cantons. A la demande de l’Interprofession de la vigne et du vin (IVV), le gouvernement valaisan a accepté d’autoriser le coupage des vins AOC Valais avec 10% de vins AOC suisses durant un an, pour soulager les vignerons touchés par le gel ce printemps. La mesure, loin de faire l’unanimité, concerne les trois cépages classiques les plus touchés: fendant, gamay et pinot noir. Les spécialités locales prestigieuses, comme la petite arvine, ne sont pas concernées.

«Cette mesure urgente doit permettre de réduire au maximum les effets négatifs sur la récolte à venir et de limiter l’impact économique pour la branche, en particulier sur les marchés de la grande distribution», détaille le communiqué. Directeur de l’IVV, Gérard-Philippe Mabillard salue une nouvelle qui profitera à toute la filière viticole: «Elle permettra notamment de garder les parts de marché dans les rayons, alors que 67% du vin bu en Suisse provient déjà de l’étranger.» Mais dans le milieu, certains craignent que le Valais ne perde son statut particulier auprès des consommateurs. Le canton est en effet le seul à interdire le coupage, au nom de l’unité du cépage. Des «considérations offensantes vis-à-vis des autres régions», déplore Gérard-Philippe Mabillard, qui rappelle que la solution du coupage n’est pas obligatoire.

«A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle»

A ceux qui dénoncent le sacrifice de la qualité, Christophe Darbellay, ministre valaisan de l’Economie, répond: «La requête de l’IVV allait bien plus loin, nous avons posé des exigences très strictes en termes de qualité.» Alors que les dégâts sont évalués à 100 millions de francs, il rappelle que «le canton a affronté un gel historique, sans précédent depuis quarante ans. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.»

Aucune obligation d’étiquetage n’étant prévue en cas de coupage, n’y a-t-il pas un problème de transparence? «Dans ce cas, la Suisse entière a un problème, plaisante le conseiller d’Etat, car aucun canton ne mentionne actuellement la composition exacte de ses vins. Le Valais restera le plus sévère de tous les cantons.» Cette aide, essentiellement destinée aux grands négociants, suffira-t-elle à absorber les pertes de la récolte qui s’annonce très faible? Le ministre liste les mesures en cours: aide aux exploitations, négociation avec le fonds fédéral pour les dommages non assurables, possibilité de recourir au chômage partiel. «Il y en a pour tout le monde, assure-t-il. Nous soumettrons par ailleurs au parlement valaisan un crédit cadre de 50 millions pour mieux lutter contre le gel à l’avenir.»

«Autogoal» pour la profession

Il n’empêche, cette décision entretient la polémique née durant l’été. Vigneron à Chamoson, Didier Joris dénonce un «autogoal» pour la profession. «Cette mesure va mettre en péril la notoriété du Valais tout entier», dénonce l’encaveur spécialisé dans le bio depuis onze ans. Pour lui, «des mesures provisionnelles, comme le report des cotisations, auraient été bien plus efficaces». A ses yeux, «Christophe Darbellay défend ses propres intérêts plutôt que ceux du canton». Hors de question pour lui de recourir à la proposition gouvernementale, même si son exploitation de 3 hectares a fortement souffert du gel: «Au lieu des 8000 à 10 000 bouteilles annuelles, je n’en vendrai que 600 cette année. Je compte sur les précommandes de ma clientèle pour m’en sortir.»

«Suspicion sur tous les vins»

«Les encaveurs qui visent la qualité n’appliqueront pas cette mesure», lâche Paul Vetter, journaliste et blogueur valaisan spécialisé dans la vigne et le vin. «Il n’empêche que la décision du Conseil d’Etat introduit une suspicion sur tous les vins.» Et la durée limitée ne suffit pas à le rassurer. «L’image du Valais risque d’être durablement écornée.» Un autre point le chiffonne: «Qu’en est-il des professionnels qui ont échappé aux vagues de gel, dans la région de Fully et Martigny notamment? Vont-ils subir une concurrence déloyale?»