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José Vouillamoz, détective de cépages

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Stéphane Godfroy
Vous croyez que le sangiovese est un cépage toscan? Pas du tout: un patient travail sur le terrain complété par des analyses d'ADN en laboratoire a permis à José Vouillamoz et à son équipe de révéler ses racines calabraises. Tel un détective, le botaniste et généticien part sur les traces qui mènent à l'origine des cépages.

J'attends José Vouillamoz dans le lobby de son hôtel. Le chercheur a acquis une renommée mondiale lors de la publication de son livre 'Wine Grapes', en collaboration avec l'écrivain britannique de littérature oenophile Jancis Robinson et la master of wine Julia Harding. Sa spécialité à lui, c'est la génétique. Le trio a ainsi répertorié 1.368 cépages. Le son des roulettes d'une valise étonnamment grande interrompt mes réflexions: "Bonjour! Vous restez sans doute un certain temps en ville?" "Mais pas du tout!" me répond-il. "Cette valise est pleine de bouteilles de vin, toutes de cépages rares. On va les goûter!"

José Vouillamoz a grandi dans le canton suisse du Valais. "Quand j'étais petit, je vivais au milieu des vignes, mais, curieusement, je viens d'une des rares familles qui n'en avaient pas. Pourtant, j'ai décidé de m'intéresser au vin. C'est ainsi que j'ai décroché un diplôme de biologiste-botaniste à l'Université de Lausanne."

Au début des années 90, il quitte le cocon local. "Je voulais voir, sentir et goûter le monde du vin. Je ne voulais pas me limiter au vin suisse. Que ce soit en Italie, en France, à Bordeaux ou en Bourgogne, partout où j'allais, j'avais le guide des vins de Hugh Johnson en poche. Peu à peu, j'ai commencé à me perfectionner."

C'est ainsi qu'il a l'idée d'orienter le sujet de sa thèse de doctorat, l'analyse d'ADN de plantes, spécifiquement sur les cépages. Son idée n'est alors pas nouvelle, mais il n'y a dans le monde qu'une poignée de spécialistes dans ce domaine. "À l'Université de Californie, à Davis, le professeur Carole Meredith travaillait sur le même thème. En 1997, avec son équipe, elle a découvert qui étaient les parents du cabernet sauvignon: le cabernet franc et le sauvignon blanc. Quand j'ai entendu parler de ses recherches, je suis allé en Californie pendant un an et c'est là que tout a commencé pour moi. Depuis lors, le monde des cépages ne m'a plus lâché." En Californie, José Vouillamoz se consacre aux cépages suisses. "J'ai découvert des liens de parenté entre des cépages suisses que je ne n'aurais pas soupçonnés."

Archéologie et cépages

Stella Grando, une collègue, lui parle d'une bourse d'études en Italie. "J'ai soumis un projet sur la domestication des vignes au Proche-Orient. Quand j'en ai parlé à Carole Meredith, elle m'a dit de prendre contact avec l'archéologue Patrick McGovern, spécialiste de l'analyse chimique des résidus de vin présents dans les amphores et autres objets anciens. Il a été enthousiaste: nous avons décroché le projet."

Concrètement, comment faut-il se représenter le projet? "En fait, nous sommes un peu des détectives du vin! En Sherlock Holmes plus vrais que nature, nous sommes partis sur les traces d'anciens cépages sauvages domestiqués et de résidus potentiels dans des objets mis au jour par l'archéologie en Turquie, en Géorgie et en Arménie." Une expédition rocambolesque. "En Géorgie, nous avons failli nous faire arrêter par la police quand un test d'alcoolémie a révélé que mon collègue local avait un peu abusé de la boisson. Quand le policier a vu sa carte d'identité, il a tout arrêté. Je ne comprenais pas pourquoi jusqu'au moment où il s'est avéré que le père de mon collègue portait le même nom que le chef des armées. Quelle chance!"

Origines du sangiovese

Revenons à la science des cépages. "Nous avons découvert que les cépages sauvages les plus étroitement apparentés aux cépages domestiques régionaux actuels se trouvent dans le sud de l'Anatolie, entre le Tigre et l'Euphrate, au nord de ce qui fut la Mésopotamie. Nous en avons conclu que c'est ici qu'a eu lieu la domestication, soit la culture des plus anciens pieds de vignes. Et c'est également ici que les premières céréales ont été cultivées, il y a 10.000 - 12.000 ans. Nous datons les toutes premières vignes cultivées entre 8.000 et 10.000 ans soit un peu plus tard." Cette observation correspond aux conclusions de l'archéologue McGovern, qui a retrouvé des traces de potentiels résidus de vin datant de cette période. De là, la viticulture a été propagée par les Phéniciens via l'Égypte, la Grèce et les Romains en Italie.

Il n'est pas rare que l'histoire d'un cépage prenne une tournure inattendue. Alors qu'il faisait des recherches en Italie, José Vouillamoz s'est lancé sur les traces des ancêtres du sangiovese. "J'ai eu la chance de pouvoir trouver les parents de ce cépage, mais quelle affaire! L'un d'eux est le 'ciliegiolo', ou 'petit cerisier', un vieux cépage toscan. Certains vignerons en ont encore quelques parcelles. L'autre parent du sangiovese restait inconnu. Les Toscans avaient annoncé que ce cépage était déjà cultivé par les Étrusques, ce qui en faisait un cépage purement toscan. Par contre, je n'en avais pas la moindre preuve scientifique. Et alors, surprise! Un de mes doctorants qui travaillait sur des cépages en Campanie a trouvé, dans un vignoble près de Naples, des vignes inconnues au point que ce cépage n'avait même pas de nom. Quand j'ai introduit ses analyses dans ma base de données, j'ai enfin découvert qui était le second parent du sangiovese: c'était ce cépage-là. Et il n'était pas toscan! C'était une telle découverte que je n'ai pas osé la publier directement: je devais d'abord trouver des informations plus complètes." Officiellement, ce cépage inconnu n'avait pas de nom, mais les vignerons locaux parlaient de 'calabrese monte nuovo' soit, 'calabrese', parce que le propriétaire de la terre, la famille Stringhari, était originaire de Calabre, et 'monte nuovo', car il s'agissait d'une nouvelle montagne née suite à une éruption volcanique en 1534.

Old is in

La très grande majorité des cépages se trouvent en Italie. "Jusqu'il y a quelques décennies, ils n'étaient pas estimés à leur juste valeur. Un vigneron vous montrait avec fierté ses sublimes merlots ou ses magnifiques cabernets, mais il était gêné d'avoir encore, dans un coin de son vignoble, quelques cépages locaux appréciés par son grand-père. Aujourd'hui, c'est radicalement différent et la qualité autochtone de nombreux cépages est devenue un atout", explique Vouillamoz. "Je dois ajouter que la France a été le dernier pays à apprécier la richesse de ses cépages, sur le plan scientifique également. Là-bas, même lors de foires viticoles, on présente et on déguste de plus en plus de vins issus de cépages anciens."

José Vouillamoz est à l'origine de la fondation du groupe Vin Mosaic, qui promeut la diversité du vin. "J'ai une question pour vous. On appelle ceux qui mangent des produits locaux des 'locavores'. Mais je n'ai pas encore trouvé de terme pour désigner ceux qui boivent des vins locaux. Vous avez une idée?"

 

'Wine Grapes, a complete guide to 1.368 vine varieties, including their origins and flavours', aux éditions Allen Lane (Penguin).