Actualités

Des vignerons allument le chauffage entre leurs ceps

Source /
David Genillard
La vague de froid qui s’abat sur la Suisse inquiète viticulteurs, arboriculteurs et maraîchers. Dans le Chablais, la lutte contre le gel a commencé mardi.

Le spectacle avait quelque chose de féerique. Dans la nuit de mardi à mercredi, les vignes de l’Ovaille se sont embrasées, à l’instar d’autres, notamment celles des Afforêts, à Aigle. Pas de quoi faire rêver le propriétaire du domaine d’Yvorne, Frédéric Deladoey. Dans le coin, le mercure est descendu jusqu’à –6 °C au plus froid de la nuit. Pour protéger les bourgeons, le vigneron a allumé 180 «bougies» – des seaux de paraffine munis d’une mèche.

«Historiquement, l’Ovaille a toujours été sensible au gel de printemps. Un courant froid au sol descend de la Berneuse, passe par Luan et Corbeyrier avant d’atteindre la plaine en passant par l’Ovaille, décrit Frédéric Deladoey. Après-guerre, il y a eu des chaufferettes disposées dans les vignes, fonctionnant d’abord à mazout puis à gaz. Ces installations ont été supprimées à la fin des années 1970. C’est la première fois depuis cette époque que nous essayons d’utiliser un moyen contre le gel.»

Il faudra plusieurs jours à Frédéric Deladoey pour savoir si le coup de chauffage de cette première nuit glaciale aura suffi à protéger ses ceps. «Il faudrait entre 250 et 400 bougies par hectare pour que ce système soit totalement efficace. Avec 180 sur 1,5 ha, on en est loin. Avec la vague de froid annoncée en Valais, les fournisseurs ont rapidement été en rupture de stock.»

Les vignerons ne sont pas les seuls à scruter le thermomètre. Bertrand Cheseaux a également passé une nuit agitée entre mardi et mercredi. «On attendait les températures négatives plus tard dans la nuit. Mais on a dû commencer à arroser les arbres vers 23 h», raconte le propriétaire des Vergers du Chablais, à Aigle et à Yvorne. Car c’est paradoxalement en fabriquant de la glace que les arboriculteurs protègent les fleurs du gel: «Chaque goutte d’eau dégage 80 calories en gelant. Les fleurs captent une partie de cette chaleur, qui leur permet de survivre», explique l’Aiglon.

«Faucher et attendre»

Avec quelques chutes de neige en fin de journée, «l’hiver» est revenu un jour plus tôt dans le Chablais, où le climat alpin est proche de celui du Valais. «Dans cette région, les producteurs sont habitués à lutter contre le froid grâce à l’aspersion, explique David Vulliemin, conseiller technique à l’Union fruitière lémanique. A La Côte par exemple, de tels systèmes n’existent pas.»

De fait, on était encore dans l’expectative, hier, dans le reste du canton. «Chez nous, c’est surtout la nuit de mercredi à jeudi et la suivante qui s’annoncent difficiles», signale Danièle Schwander, propriétaire de vergers à Cheseaux-Noréaz. Ici non plus, pas de système d’arrosage. Alors on se prépare comme on peut: «On fauche l’herbe ras au pied des arbres pour que l’air froid ne stagne pas, explique Danièle Schwander. Il n’y a pas grand-chose à faire de plus sinon attendre.»

Plus dense, l’air froid a tendance à se concentrer au sol. Et donc à menacer en priorité les cultures basses. A la Ferme à Gachet, à Eclépens, les fraisiers en pleine floraison dorment désormais sous des couvertures. «Si les fleurs gèlent, il n’y a pas de nouvelle chance, note Florise Gachet. Cette année est un peu particulière: la nature est en avance.» «Le retour du froid en avril n’a rien d’anormal. Mais on a trois semaines d’avance, confirme Danièle Schwander. Sur une année normale, on serait au tout début de la floraison et le risque de perte serait moins élevé.»

Le froid devrait perdurer au moins deux nuits. «Elles s’annoncent rigoureuses, prévient David Vulliemin. Mais si la bise annoncée et la couverture nuageuse qui fait dans ce cas office de «couvercle» se maintiennent, cela contribuera à limiter le risque de gel. Il est encore trop tôt pour prédire les conséquences de ces températures.»