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Cinq questions sur Genève à Martin Wiederkehr et Jérôme Leupin

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Alexandre Truffer
Vinifiant le tiers de la récolte du canton, la Cave de Genève commercialise ses marques phares comme les effervescents Baccarat ou les lignes Trésor et Clémence dans toute la Suisse. En juin de cette année, Martin Wiederkehr, directeur de la société depuis dix ans, cèdera sa place à un autre Suisse alémanique, Jérôme Leupin. A l’occasion de ce passage de témoin, nous avons confronté leurs visions des relations entre vins genevois et clientèle d’Outre-Sarine. 

Quel est votre parcours professionnel?

Martin Wiederkehr : Vigneron puis œnologue, j’ai, entre autres, travaillé dans divers do- maines à l’étranger et à la station fédérale de Wädenswill. En 2008, j’ai été engagé comme directeur de la Cave de Genève, poste que j’ai quitté après une décennie pour me rappro- cher de ma famille qui vit à Zurich.

Jérôme Leupin: J’ai grandi à Berne et fait toutes mes écoles en allemand. Par contre, ma mère venant du Jura Bernois, nous avons toujours parlé français à la maison. Après avoir  ni HEC à Saint-Gall, je me suis tourné vers l’alimentation. Ce qui m’a poussé à faire un master en sciences gastronomiques, mis sur pied par Slow Food, à Parme. En 2008, je suis arrivé chez Prodega. Ces sept dernières années, j’y ai travaillé comme responsable du secteur tabac et boissons.

Quelle est votre vision des vins de Genève?

MW: En avril 2009, j’avais dit dans une in- terview que les vins de Genève avaient un grand potentiel de croissance. C’est toujours vrai et ce pour trois raisons: la viticulture suisse connaît aujourd’hui un processus de rationalisation des domaines, que Genève a mené à bien il y a longtemps déjà; l’évolution du climat favorise l’implantation de cépages produisant des spécialités recherchées par la clientèle; et, en n, la renommée due au statut de ville internationale, qui doit être encore mieux exploitée.

JL: L’acheteur que je suis considère que le rapport qualité-prix des vins de Genève est
en général excellent. La diversité des cépages, sur lesquels on peut raconter plein d’histoires di érentes, constitue un second atout. En n, après toutes ces années de vin très concen- trés, très alcoolisés, très technologiques, les consommateurs se tournent vers des vins plus frais, plus fruités qui correspondent à ce qui est produit en Suisse en général, et à Genève en particulier.

Comment le grand public alémanique perçoit-il les vins de Genève?

MW: Le Suisse alémanique connaît le jet d’eau, le Salon de l’Auto et l’aéroport, mais pas la campagne genevoise. Par contre, tous ceux qui font le déplacement et goûtent les vins sur place, repartent avec un carton et deviennent des ambassadeurs des vins genevois.

JL: Les Alémaniques connaissent la Genève urbaine – la ville internationale, les grandes entreprises de luxe – mais ne savent rien de son volet rural. Et c’est une chose qu’il faut développer pour que le consommateur fasse le lien avec la région de production.

On parle beaucoup de la Suisse alémanique comme d’un marché unique, ce qui ne correspond pas à la réalité. Quelles sont les villes ou les cantons les plus susceptibles d’accueillir favorablement les vins genevois?

MW: La partie historique joue ici un rôle essentiel. Berne, par exemple, possède des liens très forts avec le canton de Vaud. Les deux pôles les plus accessibles pour nos vins sont Fribourg et Zurich. Cette dernière, une
grande ville réformée et ouverte sur le monde, présente une «mentalité» similaire à Genève. Bien entendu, tous ces éléments doivent s’ap- puyer sur une promotion et un réseau de dis- tribution e caces.

JL : Histoire, géographie, habitudes de vacan- ces jouent sur les types de consommations. Il faut viser les régions qui ressemblent à Genève, en gros des villes abritant beaucoup d’expatriés et ouvertes d’esprit, comme Zurich ou Bâle. Sans oublier la Suisse centrale habi- tée par une clientèle qui apprécie beaucoup les découvertes.

Comment imaginez-vous les vins de Genève dans dix ans?

MW: Grâce à l’Opage, la notoriété des vins genevois a augmenté. Mais il ne faut pas oublier que la Suisse est la région viticole qui, après la Champagne, paie le prix le plus élevé pour le raisin. Sauf que le prix moyen d’un vin suisse n’atteint pas celui d’une méthode tra- ditionnelle. Il faut donc continuer à position- ner les vins suisses comme des crus hauts de gamme équivalents aux références de Bordeaux, de Toscane ou de Bourgogne.

JL: Aujourd’hui vins bios, natures et végans occupent des petits marchés de niche. Dans dix ans, ce qui n’est pas grand-chose à l’échelle d’un vignoble, je pense qu’ils feront partie de notre réalité. Les nouveaux pays produc- teurs comme la Chine ou le Brésil peuvent reproduire toutes les caractéristiques de nos vins, sauf le lien privilégié avec la région de production, qui s’exprime très bien dans ce type de vins encore minoritaires.