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La vérité sur le Heida

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José Vouillamoz
Appelé Heida dans le Haut-Valais et Païen dans le Valais romand, ce cépage n’est autre que le Savagnin Blanc du Jura français dont on tire le fameux Vin Jaune. Il apparaît pour la première fois en Valais sous le nom de « Heyda » dans une délibération du conseil du dizain de Viège, datée du 29 novembre 1586 : « den bösten Roten Rÿebe wÿn unndt heÿda », soit « les meilleurs vins rouges de Rÿebe et de heyda ».

Si Heyda correspond incontestablement au Heida moderne, le terme de Rÿebe ne désigne pas un cépage, mais la partie inférieure du célèbre vignoble de Visperterminen, nommée encore aujourd’hui Ribe, et qui était à l’époque plantée de cépages rouges. Le nom de Païen n’apparaîtra que plus tard, dans la savoureuse « Description du département du Simplon, ou de la ci-devant république du Valais » faite par Hildebrand Schiner en 1812. Il n’a aucune connotation religieuse, puisqu’il s’agit d’une traduction littérale du dialecte haut-valaisan Heiden qui signifie vieux, ancien, en référence aux temps d’avant l’évangélisation, les temps païens, épithète qui se retrouve dans « Heidenhäusern » (vieilles maisons), ou dans « Heido », nom du plus vieux bisse de Visperterminen.

L’expression « famille des Traminers » est incorrecte. Une famille implique la présence du père, de la mère, des enfants, des oncles et tantes, etc. Or, le Savagnin Blanc du Jura, le Heida du Haut-Valais, le Païen du Valais central, le Traminer ou Gewürztraminer d’Alsace et du Tyrol, etc. ne sont que des synonymes du même cépage. En effet, les cépages changent souvent de noms en voyageant, et les mutations accidentelles qu’ils subissent à force d’être multipliés provoquent des formes particulières du même cépage, comme le Gewürztraminer (ou Traminer Aromatico au Trentin) qui est le résultat d’une double mutation d’arômes (Gewürz = épice) et de couleur (baies rosées). Le Heidarot ou Roter Traminer à baies rouge est une autre mutation de couleur, déjà connue à l’étranger, que nous avons observée pour la première fois à Visperterminen en 2006 en compagnie du producteur Josef-Marie Chanton. Toutes ces formes ne sont donc que des mutations plus ou moins spectaculaires du même cépage : il est par conséquent impropre de parler de la « famille des Savagnins » ou de la « famille des Traminers ». Par contre, le test ADN a récemment pu déceler un lien de type parent-enfant entre le Pinot et le Savagnin Blanc : l’un est le père de l’autre, mais en l’absence de l’autre parent, il est impossible de déterminer la direction de la filiation.

Que ce soit à Visperterminen (Valais), à Morgex et La Salle (Val d’Aoste), dans les Pyrénées ou ailleurs, il est très courant de s’approprier le titre de «vignoble le plus haut d’Europe» sans autre forme de procès. A commencer par le vignoble de Visperterminen, composé en majorité de Savagnin Blanc dans sa partie supérieure, qui atteint l’altitude de 1150m. Si cela constitue indubitablement un record de Suisse, le beau vignoble de Visperterm inen ne peut par contre pas briguer le titre européen.

Au Val d’Aoste, le cépage Prié produit le rare Vin Blanc de Morgex et de La Salle dans le Valdigne où les vignes les plus hautes montent jusqu’à 1225m, au hameau de Cottin sur la commune de La Salle. Les vignes y sont cultivées selon l’ancienne méthode traditionnelle de pergola basse, où les ceps sont soutenus par des monolithes verticaux d’environ 1,50m qui offrent l’avantage d’emmagasiner la chaleur durant la journée et de la restituer pendant la nuit. Il s’agit ici du plus haut vignoble d’Italie continentale, toujours pas le plus haut d’Europe.

Dans les Pyrénées Orientales, une petite vigne a été plantée en 1984 à Sainte-Léocadie à une altitude de 1300 m, sur les contreforts de la Cerdagne, proche de la frontière espagnole. Nommée «Clos Cal Mateu», elle compte 450 ceps de trois cépages : Muscat Blanc à Petits Grains, Chasselas et Riesling. Il s’agit certainement de la plus haute vigne de France, mais toujours pas la plus haute d’Europe. En effet, il existe en Espagne plusieurs vignobles à des altitudes supérieures à 1300 m, le plus haut étant celui de Barranco Oscuro dans la Sierra de la Contraviesa-Alpujarra près de Grenade où les ceps de Grenache, Syrah, Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc, Merlot et Tempranillo s’étendent de 1320 à 1368m d’altitude. Ce vignoble de 3,2 hectares plantés entre 1983 et 1989, dont est issue la bien-nommée cuvée 1368 Pago Cerro Las Monjas, remporte ainsi la palme du plus haut d’Europe continentale. Mais si l’on parle de l’Europe au sens politique, alors les plus hauts vignobles se trouvent à Ténériffe (Espagne) : avec ses 1700m, le vignoble de Los Frontones, appartenant à la Bodega Tierra de Frontos, est bel et bien le plus haut d’Europe au sens large. Situé dans l’appellation Abona, il est uniquement planté de Listan Blanc, nom local du Palomino Fino, et produit la cuvée Jable Blanco Seco.