Les pionniers de l'Arvine
- Mercredi 09 novembre 2016
Le plus souvent, à l'évocation de la Suisse viticole, l'amateur pense au fendant, ce vin blanc sec et fruité issu du chasselas. Mais, au fin fond du Valais, qui débute à l'extrémité est du lac Léman, quelques viticulteurs ont décidé de faire revivre un cépage longtemps oublié : l'arvine. Tel est le cas de Mike et John Favre, deux frères vignerons de Saint-Pierre-de-Clages, près de Chamoson.
Il faut voir ces deux personnages hauts en couleur, passionnés des États-Unis, circuler dans le village au volant de leur Ford F 100, un pick-up rouge rutilant des années 1950. D'un vrombissement de leur moteur de 300 chevaux, les voilà dans leur parcelle d'arvine. Au pied d'une falaise vertigineuse de 300 m de haut, les vignes en terrasses s'étagent le long d'une côte abrupte où l'on tient difficilement debout sur ses deux cannes. Là se trouvent les plus vieux pieds d'arvine du monde. Les premiers y ont été plantés en 1928, les autres au début des années 1950.
Déjà, en ce milieu de mois de septembre, de nombreux vendangeurs s'affairent dans les quelques parcelles alentour. Mais Mike et John savent se montrer patient. "Nous ne récolterons que dans quelques jours, lorsque l'arvine aura commencé à cailler." C'est-à-dire lorsque les baies de raisin auront bruni sous l'effet du botrytis. "C'est à ce moment-là que l'arvine s'exprime le mieux, avec ses arômes typiques de rhubarbe."
L'arvine est un cépage qui redevient populaire auprès de viticulteurs comme Mike et John. 186 ha sont aujourd'hui plantés dans le Valais (qui comporte 4.906 ha de vignes), alors que la région n'en comportait plus que 39 en 1991. Même Caroline Frey (domaine Jaboulet Aîné, château La Lagune et château Corton C.) est une inconditionnelle de ce cépage : "Les vins du Valais sont mes premiers amours. Je viens tout juste de racheter un cinquième d'hectare de vigne à Fully, planté en chasselas et pinot noir, que j'ai surgreffé en arvine. J'en ai même planté un peu en Vallée du Rhône pour étudier son comportement. Cette année, je vais pouvoir faire environ 100 litres de ce vin."
Changement de décors chez Didier Joris, à Chamoson. L'homme, qui en est à son 40e millésime, a beaucoup bourlingué. Élève et disciple du Pr Denis Dubourdieu, disparu cet été, il a enseigné la viticulture à l'école de Changins, la plus célèbre de Suisse. Il est l'un des tenants de l'agriculture bio dans le Valais. "Cela fait dix ans que je suis passé en bio, et je travaille le plus souvent sans soufre jusqu'à la mise en bouteille", explique celui dont les convictions ne font pas plaisir à tout le monde. "J'ai dit, à cette époque, qu'il fallait supprimer du Valais le chasselas et le pinot noir ; j'ai reçu des menaces de mort !" L'homme est un adepte des rendements maîtrisés. "Certaines vignes peuvent produire jusqu'à 120 hl/ha. Je fais, pour ma part, entre 20 et 28 hl, suivant les années. Il faut choisir entre la viticulture de porte-monnaie et la viticulture de passion." Bien évidemment, lui a fait son choix, et il s'est construit, selon ses dires, une cave de "Schtroumpf", où il peut tout faire tout seul. "Je possède 3 ha, et j'ai trois clients. Peut-on faire plus rationnel ?"
Parmi les aficionados de ses vins, on pouvait compter Freddy Girardet, qui fut chef du Restaurant de l'Hôtel de Ville, à Crissier, ou encore son successeur Benoît Violier, disparu en mai dernier. "Je me souviens de dégustations avec Freddy où il faisait immédiatement les accords avec les vins qu'il goûtait. Oh, ce vin serait génial avec une langoustine au curry ! pouvait-il dire." Ce jour-là, aux côtés de Didier Joris se trouve Gérard Dorsaz, vigneron à Fully, qui possède un domaine de 11 ha. "Il faut rappeler que, jusque dans les années 1970, il n'existait pas de culture du vin en Suisse. Nous étions tous en polyculture, et le raisin était vinifié comme on pouvait. Cela ne fait que quarante ans que nous produisons sérieusement", explique celui qui est également président de Fully Grand Cru, une association de 23 vignerons-éleveurs qui produisent depuis 1996 quatre vins grand cru sur le village : ermitage, petite arvine, gamay et syrah. La plus célèbre vigneronne membre de cette association est, sans conteste, Marie-Thérèse Chappaz, qui a su montrer que l'on pouvait élaborer à partir de ce beau cépage aussi bien de grands blancs secs que des liquoreux de haute tenue.