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Vignoble Neuchâtelois - L'aventure du bio

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André Girard
En dépit de ses modestes 600 hectares de vignoble qui place Neuchâtel au sixième rang des (régions - ndlr) viticoles de Suisse, les vignerons neuchâtelois se hissent en tête de la production de vin biologique. Grâce aux acquis de pionniers émérites. 

Avec plus de 60 hectares de vignes en production biologique, le vignoble neuchâtelois tient le haut du pavé. Et les pavés ne manquent pas à Auvernier où Sébastien Cartillier, directeur de la station viticole cantonale et d’encavage de l’Etat, prodigue par téléphone quelques conseils à un vigneron: «Le cuivre reste très efficace pour stopper le mildiou!». En poste depuis 2007, il se réjouit de constater qu’aujourd’hui 10% de la surface viticole neuchâteloise produit du raisin issu de cultures biologiques contre 4 % dans le canton de Vaud et 1% en Valais.

DEUX TYPES DE BIO

Un joli succès lancé dans les années 1990 par quelques viticulteurs qui, arrivés au bout de leurs réflexions se sont tournés vers la production bio. Biodynamique, selon les principes du philosophe et agronome Rudolf Steiner englobant l’ensemble des êtres vivants soumis aux rythmes cosmiques, ou bio-organique qui tient comp- te des facteurs biologiques, sans l’aspect philosophique du précédent. En matière de bio-organique, le pionnier fut Maurice Lambert: en 1992 déjà, il transforma en bio les 20 hectares de vigne de l’emblématique Domaine des Coccinelles, de Gorgier et de Vaumarcus. Il fut suivi huit ans plus tard en agriculture biodynamique par Christian Rossel de Haute- rive.

«Maurice Lambert? C’était un visionnaire», sourit Caleb Grob, directeur de la cave coopérative de la Béroche, où les vins du domaine des Coccinelles sont vinifiés. «La labellisation bio, il s’en fichait! Il avait décidé d’arrêter la production intégrée parce qu’il en ressentait tous les méfaits. C’est la coopérative qui l’a poussé à obtenir le label Bio Suisse!»

Pour Christian Rossel, 59 ans, second viticulteur romand à tenter l’aventure de l’agriculture biodynamique, c’est un sacerdoce: respect de la terre, 

respect du produit, plaisir du renouveau. «J’avais une vingtaine d’année quand j’ai commencé à cultiver du bio. Et je me suis complétement loupé! A cette époque, dans les années 1980, on n’avait aucune connaissance en ce domaine».

LES MAÎTRES D’AUJOURD’HUI

A force de travail et de recherches, de cours et de stages, notamment avec Pierre Masson, l’un des conseillers en biodynamie les plus reconnus en France, Christian Rossel obtient le label Bio Suisse pour ses vins en 2001 et le label Demeter, plus exi- geant, deux ans plus tard. Chargé de cours à la HES (Haute école de viticulture et œnologie) de Changins, il reconnait que jusqu’à récemment, les apôtres du bio passaient pour des illuminés. Aujourd’hui, ce sont des ca- talyseurs, des références et des maîtres.

«On a la chance, à Neuchâtel, d’avoir une ferme biodynamique, L’Aubier. 

Ueli Hurter, responsable de cours au Goetheanum de Dornach, qui forme les agriculteurs en biodynamie, a beaucoup œuvré auprès de ses collègues vignerons», admet Sébastien Cartillier, lui aussi formé par Pierre Masson et instigateur du virage bio dans le canton.

Formation, stages, transmission des savoir-faire, partage des connaissances, tout ce dont ont cruellement manqué les pionniers est maintenant la norme pour les viticulteurs bio. Calendrier lunaire et planétaire; cycles descendant et ascendant; fauchage alterné; enherbement diversi- fié; apport de compost; binage: autant de pratiques douces respectueu- es du vivant. Associées à des traitements à base de tisanes ou des décoctions utilisant la prêle, l’osier, l’ortie, le pissenlit ou la valériane, elles donnent des résultats propices à l’homme et à son environnement. Mais à côté de la foi inébranlable des pionniers, les motivations de ceux que Christian Rossel appelle «les nouveaux venus» sont diverses. Toutes découlent du même constat dressé par Jean-Michel Henrioud, vigneron-encaveur d’Auvernier labellisé Demeter depuis 14 ans: «On ne peut plus continuer comme ça! Sous les diktats de la chimie, on court à la ca- tastrophe. Voyez le récent scandale Bayer!». La société chimique et pharmaceutique a reconnu, en novembre 2015, le lien probable entre l’utilisation de son produit Moon Privilege et les anomalies de croissance des ceps observées dans le vignoble suisse.

LA TERRE EMPOISONNÉE

L’utilisation irraisonnée de produits phytosanitaires issus de la chimie a conduit à une réalité effrayante: la terre viticole, empoisonnée, est impropre au recyclage. On doit la détruire en la brûlant. Les coûts sont énormes!

SURCROÎT DE TRAVAIL

Les plantes et la terre ne sont pas seules à souffrir. Tous les organismes vivants, de l’insecte à l’être humain, subissent les conséquences de ces traitements. «Autrefois, à l’époque du tout-chimique, se souvient Jean-Michel de Montmollin, 65 ans, du domaine de Montmollin à Auver-nier, on traitait la vigne sans masque, sans gants, sans protection aucune. Les tracteurs étaient ouverts... On faisait des préparations à base de cinq ou six produits différents et on traitait selon les recommandations des fabricants même si ce n’était pas nécessaire!»

Pour Jean-Pierre Kuntzer, du domaine Saint-Sébaste à Saint-Blaise, qui a converti ses 19 hectares en biodyna- mie en deux phases (2012, puis 2013), la prise de conscience est née d’un constat inquiétant: ayant décidé de faire analyser deux de ses vins, il fut stupéfait du résultat: «Le blanc présentait une substance active et le rouge trois! C’était bien au-dessous des normes admises, mais ça ne m’a pas plu du tout!».

Ce retour aux méthodes ancestrales a ses exigences: un changement d’organisation, un surcroît de travail, des coûts supplémentaires et, au début, le risque de voir sa production baisser. «Ma fille m’a dit: Papa, t’es fou!», rigole Jean-Pierre Kuntzer, 60 ans. Et de fait, lors de la première année de transition, la récolte était inférieure de 20% à la normale. Faites le compte: cent gramme au mètre carré, c’est rien! Mais à l’hectare, ça fait 1000 kg, soit 1000 bouteilles en moins. Total: 200’000 francs de manque à gagner. Sans parler de l’investissement pour de nouvelles machines, les vieilles étant trop lourdes».

Qu’importe puisque le but «d’avoir des vins différents et meilleurs» est aujourd’hui atteint, conclut un Jean- Pierre Kuntzer heureux de voir ses vignes «bien plus belles» et sa fille Elodie, 26 ans, convertie et disposée à poursuivre l’expérience bio.

Credo identique dans la bouche d’Alexandre Perrochet, de la Maison Carrée à Auvernier: «Si on s’est lancé dans la biodynamie, ce n’est pas pour l’aspect commercial! C’est pour nous une conviction, une philosophie».

ET LES ZONES TAMPONS?

Tous en conviennent, un des problèmes de la culture biodynamique, ce sont les zones tampons, ces frontières entre parcelle bio et non bio. Du coup, les vins issus de ces zones ne peuvent être certifiés.

Même si la demande du marché pour les produits bio est forte et même si la réussite des viticulteurs bio est évidente, la résistance des vignerons à transformer leur domaine est encore forte. «Sur les 35 membres de la coopérative, seul Pierre Lambert, du Domaine des Coccinelles, fait du bio», regrette Caleb Grob, qui souhaiterait voir d’autres domaines se lancer dans l’aventure.

Souhait qui pourrait vite devenir réalité. Avec les nouvelles générations formées à la HES de Changins, le changement est dans l’air du temps. Ingénieur(e)s ou diplômé(e)s en viti- culture et / ou en œnologie, bardé(e)s d’expériences acquises en Suisse alé- manique et à l’étranger, les fils et les filles de ces vignerons ont toutes les compétences pour reprendre le do- maine familial. Et suffisamment de talent pour le convertir en bio s’il ne l’est pas encore. Comme chez de Montmollin à Auvernier, où la reprise prochaine par Benoît, 32 ans, et sa sœur Rachel, 38 ans, verra l’entier du domaine, soit 50 hectares, converti à la biodynamie.