Actualités

Une microvigne à l'étude pour élaborer les vins du futur

Source /
Texte: Julie Schupbach
Changins Microvigne
Les biologistes de l’Agroscope étudient un modèle de vigne naine très rare pour prédire les impacts du réchauffement climatique sur le raisin et le vin. Ils visent notamment des variétés moins sucrées, qui donnent des vins moins alcoolisés malgré l’élévation des températures.

 

Trois verres de vin, et les effets de l’alcool se ressentent déjà. Depuis une dizaine d’années, les vins affichent des taux d’alcool entre 13 et 14%, les plus importants jamais observés. Une augmentation due au réchauffement climatique qui accroît la teneur en sucre des raisins, et donc l’alcoolémie. A l’Agroscospe de Changins, des chercheurs étudient un modèle de vigne naine très rare afin de mieux décrypter les impacts des hausses de températures. Leur but: créer de nouveaux cépages moins sucrés et moins caloriques, adaptées aux climats futurs autant qu’aux goûts des consommateurs.

Pour ce faire, ils ont recours à une vigne particulière, appelée «microvigne». Seuls trois centres dans le monde possèdent cette vigne: en Australie où elle a été découverte en 2002, en France à l’Institut national de recherche agronomique (INRA) de Montpellier et en Suisse à Changins. Il s’agit d’une variété du cépage Pinot Meunier, de petite taille, avec une autre particularité: ses feuilles sont blanches, caractéristique s’expliquant par la présence d’une mutation génétique dans l’ADN de la plante.

 

Pour l'heure une curiosité de laboratoire

Sa découverte s’est faite par hasard, lorsque des chercheurs australiens ont observé des cellules de la vigne. Son ADN avait naturellement muté. Désireux de connaître toutes les conséquences de cette mutation, les scientifiques ont procédé à diverses expériences et croisements, avant de parvenir à la conclusion que la mutation qu’ils avaient sous les yeux était non seulement responsable de la couleur blanche des feuilles, mais aussi qu’elle inhibait certaines hormones de croissance de la plante, l’empêchant de croître normalement. Outre cette petite taille, la microvigne possède un temps de floraison ainsi qu’une répartition des grappes sur le long de son tronc différents de la normale.

Après avoir été une simple curiosité de laboratoire, la microvigne est donc devenue un nouveau modèle pour la communauté scientifique viticole. Elle présente plusieurs avantages. Son cycle, de la mise en terre d’une graine jusqu’à ce que la plante produise une nouvelle graine, dure seulement un an, contre trois à cinq ans normalement. Et elle n’a besoin que de six mois pour produire une fleur à partir d’un pépin, un processus qui s’étale habituellement sur plusieurs années. En revanche, la rapidité de croissance de la fleur au fruit est inchangée: au moment de la floraison, il faut compter 100 jours avant les vendanges.

Mais ce ne sont pas là les seules particularités de la microvigne. Markus Rienth, chercheur à la Haute Ecole d’oenologie de Changins, indique: «La mutation de l’ADN de cette vigne transforme aussi les vrilles, structures qui lui permettent de s’accrocher, en bourgeons, qui vont ensuite devenir des grappes». Résultat, la microvigne produit plus de grappes de raisin, et pendant toute l’année.

Est-ce là une solution pour produire davantage de vin? «Les expérimentations faites sur la microvigne ne sont pas applicables, c’est de la recherche fondamentale», répond Markus Rienth. Par contre, en comparaison avec une vigne non mutée, la microvigne est cultivable sous serre. «Il est donc possible de contrôler toutes les conditions environnementales dans lesquelles elle évolue, ce qui est un avantage très intéressant», affirme le chercheur. «La microvigne a permis de considérablement accélérer les recherches en génétique des plantes», abonde Laurent Torregrosa, de l’Institut SupAgro de Montpellier.

 

Nouvelles variétés à l’horizon

En étudiant les effets du climat sur la qualité des fruits (évaluée notamment par leur contenu en arômes, ou l’équilibre entre les sucres et les acides), cet agronome identifie de nouvelles variétés de vignes adaptées au réchauffement climatique, c’est-à-dire moins sucrées et donc de meilleure qualité que les variétés actuelles. «D’un point de vue diététique et au regard de leur santé, les consommateurs ne veulent plus acheter des vins avec des teneurs en alcool supérieures à 14%», précise-t-il, avant d’ajouter qu’«avec des vignes adaptées, il est possible de faire des vins ayant seulement 11% d’alcool, même sous un climat chaud».

Selon les deux chercheurs, de nouveaux cépages adaptés au changement climatique seront viables d’ici trois à quatre ans. «Cependant, ils ne seront pas utilisés avant dix à quinze ans dans les vignobles, dit Laurent Torregrosa. Les réglementations politiques de santé publique freinent énormément la mise en place de nouvelles variétés».

Quant à Markus Rienth, il rappelle que «la microvigne n’est pas un organisme génétiquement modifié (OGM)». En effet, la mutation qu’elle possède est naturelle et un simple croisement avec des vignes non mutées suffit à la création de nouveaux cépages. Pour créer un OGM, un gène externe est sélectionné avant d’être artificiellement inséré dans l’ADN d'un autre organisme.