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Pousser la production intégrée sans passer aux modèles bio, c’est possible!

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Blaise Guignard
En matière de développement durable et de diminution du recours aux produits phytosanitaires de synthèse, les vignerons peuvent en faire plus sans pour autant sortir du modèle de la production intégrée, exemple chez le Valaisan Stéphane Kellenberger, président de VitiVal (organisation régionale de VITISWISS et du label VINATURA).

 

Impopulaires auprès du public inquiet de consommer des produits «bourrés de pesticides», les phytosanitaires de synthèse le sont également, de plus en plus, chez les producteurs eux-mêmes. L’affaire du fluopyram commercialisé par Bayer sous le nom de Moon Privilege a échaudé les vignerons, y compris ceux qui n’ont pas été touchés par ses side-effects ravageurs (c’est le cas de le dire); la liste des substances autorisées dans les herbicides, en outre, diminue chaque année, les incitant à chercher d’autres voies. Au niveau politique, le Conseil fédéral a adopté l’an dernier un plan d’action visant la réduction des risques et l’utilisation durable des «phytos», comprenant notamment la recherche d’alternative à ces derniers.

 

Près de 95 % du vignoble en PI

À cette préoccupation s’ajoute la prise en compte plus globale des dimensions humaines, sociales et environnementales de la viticulture – en bref le développement durable, auquel les vignerons sont de plus en plus sensibles, à plus forte raison car il s’agit, au fond, de la survie à long terme de leurs exploitations. Autant de réflexions qui incitent un nombre non négligeable de professionnels à dépasser la base que constitue le système de la production intégrée et des prestations écologiques requises (PER), qui encadre aujourd’hui près de 95% du vignoble suisse et autorise le recours aux produits de synthèse selon de strictes conditions. Certains se sont tournés vers le bio et ses différentes déclinaisons, labellisées ou non; une voie relativement ardue et risquée, où la marge d’erreur, surtout en période de reconversion, est très faible.

«On oublie un peu que Vitiswiss offre la possibilité d’aller au-delà de la norme, en obtenant le label Vinatura Développement durable, soit la version réactualisée il y a trois ans du label Vinatura qui existe depuis 1993», rappelle Stéphane Kellenberger, président de Vitival (la branche valaisanne de Vitiswiss, autrement dit la Fédération suisse pour le développement d’une vitiviniculture durable). Le label se fonde sur les PER et sur le certificat Vitiswiss, et y ajoute des «prérequis» assez exigeants, précise ce jeune vigneron bernois établi à Loèche sous l’enseigne Vin d’OEuvre; ces efforts de base touchent aux aspects environnementaux, économiques et sociaux de l’exploitation.

Elles comprennent par exemple une gestion raisonnée des intrants, des déchets et des effluents, ainsi qu’une gestion durable de l’énergie. Les viticulteurs doivent en outre choisir une mesure durable parmi un catalogue en comprenant plus d’une soixantaine, et s’engager à la mettre en oeuvre pour une période de deux à quatre ans.

Touchant à toutes les dimensions de l’entreprise vitivinicole – vigne, cave, personnel, responsabilité sociale et environnementale– ces mesures vont de l’installation de goutte-à-goutte pour optimiser l’arrosage et diminuer les risques d’érosion, au stockage et au recyclage rigoureux des emballages de traitement, en passant par la sécurité des ouvriers au travail, etc. Au terme de la période d’engagement, les objectifs choisis sont vérifiés – et s’ils sont atteints, l’exploitant en choisit de nouveaux… et ainsi de suite, l’idée étant de créer un cercle vertueux.

 

Devenir un label de référence

Une vingtaine de caves valaisannes ont décroché le label Vinatura DD, contre plus de 200 qui affichent le certificat Vitiswiss. Une proportion que Vitival souhaiterait augmenter. Ce qui retient les vignerons n’est pas tant de soumettre les vins labellisables à la dégustation, dernière étape obligatoire du processus, que l’idée «qu’il n’est pas utile de faire cette démarche si l’on ne veut pas vraiment apposer le label sur ses bouteilles, d’autant que la charge administrative, comme pour toute certification de ce type, demande un certain effort, résume Stéphane Kellenberger. «C’est dommage, car le label peut, et devrait, servir de référence au consommateur recherchant des vins produits dans un souci écologique et durable.» Ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui; un défaut de notoriété à pallier. «C’est aussi à Vitiswiss et à Swiss Wine Promotion de renforcer sa promotion», estime le président de Vitival.

Pionnier de la lutte intégrée en Suisse dans les années septantes – Vitival a été fondée deux ans avant Vitiswiss, et c’est de la région de Fully que les fameux typhlodromes prédateurs des araignées rouges ont été exportés vers les autres régions viticoles – le Valais propose une autre voie alliant développement durable et diminution du recours aux phytosanitaires– l’un englobant en réalité l’autre.

 

Moins d’herbicides

Lancé en 2012, le projet Vitisol court sur une période de six ans, et vise à favoriser la santé des sols en zone sèche (c’est le cas de l’ensemble du vignoble du Vieux pays) en diminuant de 40 % le recours aux herbicides; là encore, il s’agit de choisir une mesure dans un catalogue de sept propositions: engazonnement spontané, enherbement par semences, travail des sols, couverture organique, apport de matières organiques ou d’engrais vert, ou encore mise en place de haies brise-vent. Le vigneron qui s’engage touche un forfait initial, puis une somme annuelle devant lui permettre de faire face au surcoût, explique Stéphane Kellenberger. «Bien que certains coins de vignoble ne peuvent que très difficilement se passer d’herbicides, il est gratifiant de voir de plus en plus de parcelles enherbées et travaillées de manière à produire un raisin de haute qualité», relève Stéphane Kellenberger.

Avec 393 hectares engagés (soit 149 exploitations réparties dans tout le canton), Vitisol peut revendiquer un certain succès, et démontre qu’il répond à une véritable volonté de trouver des solutions durables à la problématique de l’entretien des sols, ce dont le président de Vitival se réjouit: «Je suis persuadé que les effets du projet se poursuivront au-delà de son terme, et que la diminution des substances herbicides ne va pas s’arrêter en 2018».

Bref, avant de se tourner vers le bio organique ou la biodynamie, l’éventail de mesures potentielles peut encore être exploré– d’ailleurs, les exploitants engagés dans l’un ou l’autre modèle se gardent généralement de faire preuve d’un esprit de chapelle. Pour les sensibilités écologiques les plus affûtées, le défaut du certificat Vitiswiss et du label Vinatura, c’est d’accepter le recours, certes très cadré, aux phytos de synthèse. À l’inverse, c’est évidemment son atout, puisqu’il offre une «option de secours» bienvenue en cas de forte concurrence avec les plantes vivaces ou de grosse pression des maladies cryptogamiques. L’important, conclut Stéphane Kellenberger, «c’est de contribuer à la promotion d’un produit et d’un patrimoine extraordinaires, et de pouvoir les transmettre aux générations suivantes»