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Reza Nahaboo, portrait du meilleur sommelier de Suisse

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Thierry Meyer
Ayant remporté le titre de meilleur sommelier de Suisse 2016 le 30 octobre dernier à Genève, Reza Nahaboo reçoit Thierry Meyer à l'Hotel Savoy pour un portrait.

«Le gamin». C’est lui qui utilise le terme, spontanément. Et ses yeux sombres pétillent encore plus que d’ordinaire. Du reste, il n’y a rien d’ordinaire chez Reza Nahaboo, désigné meilleur sommelier de Suisse le 30 octobre dernier, après un concours qui l’a vu triompher en finale face à deux de ses collègues. A 29 ans, cet homme au physique fin et racé, à la prestance parfaite, aux manières amènes, époustoufle lorsqu’il partage sa soif de connaissance, sa passion pour le vin, son bonheur de servir – des flacons et des clients.

Mais comment un jeune Mauricien né à La Réunion, au prénom iranien, devient-il incollable sur les vins suisses et constitue-t-il la cave de l’Hôtel Royal Savoy Lausanne, dont il est le sommelier depuis la réouverture du palace centenaire? Une enfance ballottée entre l’océan Indien, l’Angleterre et la France, et très vite l’envie de se plonger dans le monde de la restauration. Apprentissage à 15 ans, dans les environs de Vienne, dans la vallée du Rhône, la terre des Pic et autres maîtres de la gastronomie, puis cap sur la Suisse où, à 19 ans, Reza est bombardé seul sommelier de L’Ermitage d’Etienne Krebs, à Clarens, une étoile au Michelin. «C’était dur, entre la solitude et ce travail dans un monde d’adultes. Mais j’ai adoré ce lieu fantastique, le paysage… et ces gens, ils m’ont tant appris.» Le mot revient sans cesse. Reza Nahaboo a enchaîné les expériences, chez Rochat à Crissier, ou aux Alpes à Orsières, «parce qu’il fallait pouvoir continuer à apprendre; à la limite c’était une erreur de commencer seul dans une grande table.»

C'est lorsqu’on lui demande de raconter comment se passe la constitution ex nihilo de la cave d’un palace que le flot s’anime définitivement. «Magique!» s’exclame Nahaboo. Et d’enchaîner tout de suite sur la «barrière de dégustation» entre Suisse romande et alémanique. «Je devais me baser sur la carte du Schweizer­hof de Berne, qui appartient au même groupe que le Royal Savoy. Je suis resté dans cet esprit «Suisse ouverte», mais en variant parce que les Alémaniques aiment plutôt des blancs très droits, avec une bonne acidité, et des rouges puissants, assez boisés, alors que les Romands sont plus sur des blancs plus onctueux et gras, et des rouges plus aériens.»

En pleine entente avec son patron Alain Kropf, Reza Nahaboo a voulu «se démarquer», en privilégiant une approche «artisanale» du vin, à côté de quelques incontournables. Il parle avec respect et gourmandise des grands blancs du Grison Peter Wegelin, ou de la belle syrah de Christophe Abbet, à Martigny, «très digeste, aux accents fumés, de cheminée, «compotés», un beau vin d’hiver.»

Du reste, pour les Fêtes, le meilleur sommelier de Suisse a un faible pour les vins – même s’il aime aussi le champagne, Ruinart, Dom Pérignon, Krug, ces étiquettes qui font la réputation d’un cinq-étoiles. «Notre carte est saisonnière, elle doit s’inscrire dans la logique hivernale, l’esprit de Noël. Pain d’épices, vin chaud, truffe flottent dans l’air, nos vins doivent avoir la même réverbération.» Des blancs aromatiques, gras, généreux, sapides, comme cet assemblage de rauchling et de chardonnay zurichois de la maison Strasser, qu’on sert sur des Saint-Jacques ou de la volaille, ou avec un beau bar en croûte. Quand il en a le temps, Reza Nahaboo n’aime rien mieux que de mettre en scène plats et vins, pour en décomposer l’univers. «J’ai servi à un client, lors d’une occasion spéciale, un riesling très iodé posé sur du gros sel, des algues, avec dans un coquillage un haut-parleur que je pilotais avec mon iPhone pour diffuser le bruit des vagues», s’amuse-t-il.

«Est-ce spécifique à Lausanne? Je suis impressionné par l’esprit de découverte qui règne ici. Cela nous permet de nous aventurer parfois avec des vins rock’n’roll – que nous voulons abordables.» Avec les vignerons d’ici, dont il aime les produits, il veut encore approfondir la relation. «J’essaie toujours de me remettre en question, de rester le gamin. Etre modeste, écouter. Dans le monde du vin, il n’y a pas de place pour la prétention.» Cette passion qui le «remplit», il l’accomplit «comme si chaque jour était le dernier». Une dévotion que supporte sa copine, avec laquelle il a mitonné l’autre jour un risotto accompagné d’un Pinot Noir Klosterberg qui l’emmène dans une nouvelle description érudite, sincère et communicative.