Marie-Thérèse Chappaz, la vigne devant soi
- Mercredi 01 mars 2017
Cette vigneronne suisse, icône du Valais, consacre sa vie à travailler ses parcelles en pente dure. Rares sont les vignerons suisses à faire parler d’eux en dehors d’Helvétie. Marie-Thérèse Chappaz échappe à la règle. Elle est considérée quasiment comme une star, une grande dame respectée. Ses vins côtoient régulièrement les 100 points au guide Parker. Mais c’est une star qui se montre peu et dont les vins voyagent bien plus qu’elle.
Remonter le cours de la vallée du Rhône
La rencontrer, c’est remonter le cours de la vallée du Rhône, presque jusqu’à sa source. A Fully, au cœur du Valais, le fleuve est encore mince. La vallée de Chamonix est à trois quarts d’heure de route. Les onze hectares de vignes se situent autant sur l’ubac que l’adret. Vingt-cinq cépages différents, dont la syrah rhodanienne bien sûr, mais aussi de nombreux autochtones tels que cornalin, petite arvine, humagne rouge ou blanc, gamaret… Le versant plus ensoleillé, malgré sa pente abrupte, est davantage recouvert de vignes, travaillées en petites terrasses, retenues par des murs en pierres sèches. Un travail colossal pour des parcelles qui ne contiennent parfois que dix ceps !
La montagne n’effraie pas la vigneronne qui passe d’une rangée de vigne à l’autre sans glisser. Petite, elle a les pieds bien posés sur terre, et ses mains en avant trahissent un travail de chaque jour. Elle est fière de ses étiquettes de vin qui affichent depuis trente ans son beau visage franc, éclairé de grands yeux bleus. Narcissisme ? « C’est moi, et ce n’est pas moi », se justifie-t-elle. Chez Marie-Thérèse Chappaz, le vignoble occupe la place centrale. Elle est à son service, c’est tout. Sa vie tout entière y est consacrée : solitaire, elle a élevé seule sa fille qui a 28 ans. Cette architecte aide un peu sa mère au bureau, mais ne souhaite pas en faire davantage. A-t-elle trop vu sa mère préoccupée par ses vignes ? « Je me fais toujours du souci, pour tout, c’est vrai », reconnaît la vigneronne.
Paille bio pour le sol
Quand Marie-Thérèse Chappaz décide de changer quelque chose, elle avance d’un pas. Sa vie de vigneronne a commencé ainsi, pas à pas. Pour ses 17 ans, son père, avocat à Martigny, où elle est née au milieu d’une fratrie de sept enfants, lui offre quinze ares de vignes. Elle souhaite être sage-femme, mais ce cadeau la fait réfléchir. Quelques années plus tard, elle hérite à Fully de la maison de son oncle écrivain Maurice Chappaz, qui était aussi l’ancienne maison du vigneron Maurice Troillet. Son domaine viticole prend forme. Située à 500 mètres d’altitude, la demeure s’ouvre d’un côté sur le Rhône et sur la commune très urbanisée de Fully, de l’autre sur la montagne, parée de forêts de châtaigniers, de pâturages et de vignes qui grimpent jusqu’à 900 mètres.
Depuis peu, elle ne peut plus utiliser un funiculaire pour transporter du matériel d’une terrasse de vigne à l’autre – un problème de normes. Autre difficulté, elle cultive en biodynamie depuis sa visite, à la fin des années 1990, chez Michel Chapoutier à Tain-l’Hermitage. « C’est fou comme cette culture a changé le profil de mes vins. » Pour contourner la mécanisation difficile et l’emploi de la chimie, elle jonche le sol de paille bio qu’elle va chercher dans une ferme. Un travail de titan pour une œuvre d’art. « Je ressens vraiment la sensibilité des plantes, explique-t-elle. Gagner de l’argent n’est pas un but dans la vie, moi je préfère voir du beau. C’est ça qui me nourrit, même si le chemin est plus difficile. »
La vigneronne de montagne a besoin de sa « dose de solitude quotidienne » et de ressentir les saisons. Il pleut peu sur les coteaux de Fully. Si bien que les vignes sont irriguées. « Il peut faire chaud, explique la vigneronne. La lumière est particulière… » La montagne du Valais est unique. Comme la papesse qui l’habite.