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Le mildiou attaque le plus grand domaine de Cornalin du monde

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Xavier Lambiel

Image: Dès son incrustation dans le raisin, le mildiou produit le mycélium qui gangrène la baie.

 

En Valais et en Lavaux, le parasite a gangrené les vignobles comme jamais depuis 1996. Traitées biologiquement au cuivre, de vastes parcelles de Cornalin ont particulièrement souffert.

Quelques grains de raisins momifiés dans la paume de sa main, il sourit: «On a frôlé la catastrophe». Mastiquant compulsivement des baies, Frédéric Rouvinez évalue l’ampleur des dégâts. Pour lui, «c’est un coup dur» mais «la qualité n’en souffrira pas». Sur les hauts de Leytron, le mildiou s’est enkysté dans les grappes de cornalin du domaine de Montibeux, le plus grand qui n’ait jamais été consacré à ce cépage très sensible.

Avec près de 14 hectares plantés il y a un peu plus d’une dizaine d’années, le domaine représente à lui seul 10% de la production valaisanne de cornalin. Sur certaines parcelles très localisées, le parasite a desséché 70% du raisin. Sur l’ensemble du domaine, le groupe Rouvinez a perdu entre 20 et 30% de sa récolte, soit près de 20 000 kg de vendanges. Economiste «élevé dans les vignes», le benjamin de la famille estime la perte entre 100 et 150 000 francs.

Une insaisissable micro-algue

Une fois le mildiou installé dans la vigne, «c’est une plaie dont on ne se débarrasse plus». Responsable de la protection des végétaux à l’agroscope de Changins et docteur en mycologie, Olivier Viret étudie ces organismes filamenteux depuis longtemps. Contrairement aux champignons, cette micro-algue est capable de se mouvoir. Elle est d’autant plus difficile à combattre qu’elle peut systématiquement réapparaître là où on ne l’attend pas.

Cette année, il n’y avait aucune marge de manœuvre: Il fallait être parfait

Grâce à ses spores flagellées, le mildiou «nage» dans l’humidité des feuillages et semble même se déplacer dans la sève. Dès son incrustation, il sécrète des enzymes qui décomposent la matière organique. Cumulées à de multiples facteurs, les pluies de la fin juin et du début juillet lui ont permis de proliférer dans le pays comme jamais depuis 1996. Pour le spécialiste des maladies fongiques, «cette année, il n’y avait aucune marge de manœuvre: Il fallait être parfait».

Importants dégâts dans le Lavaux

Pour la première fois ce printemps, les hélicoptères n’ont pas répandu de pesticides de synthèse sur les vignobles en terrasses du Lavaux. Dans leurs réservoirs, ils n’ont emporté que du soufre, des extraits d’algues, du lait, et d’autres produits naturels. Sous la pression des consommateurs, les vignerons suisses s’essaient à la viticulture biologique. Pour protéger leurs grappes du mildiou, ils utilisent surtout le cuivre.

Au XIXe siècle, ce fongicide a sauvé les vignes romandes, menacées par le parasite. S’il a l’avantage de ne pas pénétrer la baie, il se laisse facilement lessiver par la pluie. Il faut donc répéter son application très régulièrement. En Lavaux, la ronde des hélicoptères n’a pas toujours été suivie d’un traitement au sol et le mildiou a sévèrement touché certains parchets. A Chardonne, des producteurs déplorent jusqu’à 95% de pertes.

Les limites des traitements biologiques

Longtemps professeur de phytopathologie à Changins, Christian Blaser est redevenu vigneron-encaveur. Pour lui, «on a malheureusement choisi la pire de ces vingt dernières années pour expérimenter une approche biologique à large échelle». A Leytron, certaines de ses parcelles jouxtent celle de la famille Rouvinez. Lui aussi adepte des produits naturels, il assimile la technique à «un travail d’horloger». Il rappelle que ces traitements sont exclusivement préventifs et que quelques heures d’humidité suffisent au mildiou pour infecter la vigne.

Il ne faut pas tout remettre en question pour une année très particulière

Pour ce spécialiste de la protection des végétaux, «les produits biologiques sont plus limités que les fongicides de synthèse lorsque les conditions sont difficiles, parce qu’ils ne permettent pas de combattre les spores après leur germination». De mémoire, il n’avait «jamais vu pareille pression du mildiou sur la grappe en Valais». En plaidant les aléas inévitables de la nature, il appelle ses confrères à ne «pas tout remettre en question pour une année très particulière».

Les erreurs humaines

Un peu plus bas dans la vallée, les vendanges ont débuté. Parmi les ceps touffus du domaine Montibeux, Frédéric Rouvinez promet de pas mettre fin aux traitements biologiques sur les parcelles du groupe familial. Par contre, il réévaluera l’échelle de ses essais, menés depuis plus de six ans sur le site. Pour lui, «nous manquons d’expérience et nous avons été trop sûrs de nous». Il attribue partiellement ses pertes à des erreurs humaines et il insiste: «Les pratiques naturelles demandent une précision incroyable».

Les pratiques naturelles demandent une précision incroyable

Sur les hauts de Leytron, les traitements biologiques n’ont peut-être pas été appliqués assez régulièrement, et les dégâts découverts au début août auraient pu être plus limités, «si les traitements d’urgence avaient été appliqués un ou deux jours plus tôt». L’effeuillage a sans doute aggravé le phénomène. Cachées par leurs feuilles, les grappes les moins accessibles sont aussi celles qui ont le plus souffert du parasite.

Plus grand propriétaires de vignobles en Valais avec 110 hectares cultivés, la famille Rouvinez devra sans doute bientôt contingenter le cornalin destiné à ses clients. Pendant une dizaine d’années, elle a pourtant travaillé à convaincre le marché de revaloriser ce cépage autochtone délicat, qui avait presque disparu dans les années 1970.