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Le gel met le vignoble genevois à genoux

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Xavier Lafargue, photos Laurent Guiraud
De mémoire de vigneron, c’est du jamais-vu! Des parcelles ont été dévastées à 100% par la vague de froid qui a sévi dans la nuit de vendredi à samedi.

En partie épargnés par le gel qui a touché la Suisse il y a une dizaine de jours, les vignerons genevois se sont réveillés, samedi matin, avec la gueule de bois. En cause, un nouvel épisode de froid intense, qui a sévi dans la nuit. «Je n’ai jamais vu ça!» lance Alain Jacquier. A 68 ans, le viticulteur du Domaine des Ménades en a déjà connu des vertes et des pas mûres, «mais ça, c’est le pire qui me soit arrivé. A Hermance, toutes mes parcelles sont fichues!» Ailleurs dans le canton, on estime que près de la moitié des récoltes est perdue.

Lundi matin, Alexandre de Montmollin a pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre des vignerons. Le constat du chef de service à la Direction générale de l’agriculture est alarmant: «Selon nos premières estimations, certains domaines ont été touchés à plus de 70%.» Le spécialiste dresse une amère liste des régions les plus dévastées: «Les côtes de Russin, Malval, Essertines, le bas des Communailles de Dardagny ainsi que le bas de Peissy, mais aussi Sézenove, le bas de Bernex, Rougemont (près de Soral) et Hermance.» Et la liste, dressée dans l’urgence, n’est sans doute pas exhaustive.

«Ça a tapé très fort!»

Contactés hier, rares sont les vignerons qui gardaient le sourire. «J’ai eu de la chance, mes parcelles du côté de Choully sont intactes», confie Daniel Sulliger, du Domaine de la Clé de Sol. A Cologny, Sarah Meylan (Domaine de la Vigne Blanche) renchérit: «Nos parcelles sont en pente et l’air froid a pu s’écouler. De plus, nous profitons de la proximité du lac, qui adoucit les températures.» Mais on l’a dit, cela n’a pas été bénéfique partout, notamment à Hermance.

Ailleurs, leurs homologues n’ont pas eu cette veine. «Là où il y a moins de pente, ça a tapé très fort», indique Bertrand Favre, du Domaine de Miolan, à Choulex. Il estime que la moitié de sa future récolte est perdue. «Il nous faudra privilégier les rares bourgeons encore intacts, conserver maintenant tout ce qui est porteur en fruits. Car les bourgeons stipulaires, qui vont apparaître par la suite, sont pauvres en fruits. Le travail des vignerons aura une grande importance.»

Conditions météo exceptionnelles

Ce désastre est dû à une conjonction d’éléments climatiques. «La vigne s’est réveillée très tôt grâce aux températures quasi estivales du début du mois d’avril, relate Fabian Rochaix, viticulteur responsable au Domaine des Perrières, à Peissy. Puis un froid hivernal est arrivé. Certaines de mes parcelles, à Russin, ont gelé dans leur totalité.» Comme la vigne, les vergers ont subi de gros dégâts (lire ci-dessous) provoqués par des températures allant jusqu’à -4 degrés mesurés à 2 mètres du sol, selon MétéoSuisse.

De plus, deux vagues de gel se sont succédé à une semaine d’intervalle. «La première, il y a dix jours, suivait une période de sécheresse, raison pour laquelle Genève a été quelque peu épargné, précise Alexandre de Montmollin. Mais la seconde, dans la nuit de vendredi à samedi, est intervenue après des épisodes pluvieux. Or l’humidité conjointe de l’air et du sol est propice à un gel plus intense, tout comme un ciel dégagé durant la nuit et le matin, ce qui fut le cas cette fois-là.»

Côté cépages, c’est l’anarchie. Le gel semble avoir œuvré sans distinction. Les moins résistants ou les plus précoces sont les plus touchés – gamaret, garanoir, pinot gris ou encore gamay, chardonnay et muscat – mais selon les régions, même le chasselas, réputé résistant, a dégusté.

«La distinction se fait plutôt au niveau des parcelles, livre Sébastien Dupraz. Par exemple, celles que je possède sur les coteaux de Rougemont, à Soral, n’ont plus un gramme de vert. Tout est perdu! On se croirait en hiver», poursuit le viticulteur du Domaine des Chevalières. Et les saints de glace (11, 12 et 13 mai), période propice au gel, sont encore à venir!

La double peine

Pour les vignerons genevois, c’est la double peine. Car il va tout de même falloir travailler la vigne. «Je vais faire du paysagisme», lance Stéphane Gros. Mi-figue, mi-raisin, ce vigneron de Dardagny explique: «Il faudra nettoyer tous les pieds et faire le débourgeonnage comme d’habitude, mais sans espoir de rendement. Ce sera pour sauver les ceps.» N’y avait-il pas moyen de protéger les cultures? «Installer des bougies de paraffine est impensable au vu de la grandeur des terrains, poursuit-il. Il en faudait 300 pour un hectare, vous imaginez? Quant à arroser, les vignes ne sont pas équipées pour cela, contrairement aux vergers.»

Seul espoir pour le vignoble genevois? «Que le temps change et se réchauffe, glisse Bertrand Favre. Nous devons rester optimistes malgré tout.» De fait, la récolte 2016, qui sera mise en vente cette année, a été abondante. Le public s’en rendra compte lors des prochaines Caves ouvertes, le samedi 20 mai.

Appels à l’aide

Ce n’est donc pas en 2017, mais en 2018 que la faiblesse des rendements se fera sentir. Et mettra certains producteurs au pied du mur. Dès lors, des discussions sont déjà en cours avec la Confédération et les cantons (lire ci-contre) pour venir en aide aux vignerons les plus touchés. Car les coûts de production, eux, ne vont pas changer. En revanche, vu le peu de vin à mettre en vente, des acheteurs vont se tourner vers d’autres marchés, «et il est très difficile ensuite de les faire revenir», constate Willy Cretegny, du Domaine de la Devinière, à Satigny.

«A Genève, des outils existent déjà», relève Alexandre de Montmollin. Par exemple des prêts sans intérêts ou des subventions pour surendettement. Mais n’aurait-il pas été plus simple de se prémunir contre le gel? Un ajout à l’assurance grêle existe, mais c’est cher et il y a une franchise de 25%, nous expliquent plusieurs vignerons. Qui ajoutent que Genève étant presque toujours épargné par les gros dégâts dus au gel, peu sont ceux qui souscrivent une telle assurance.

 

Des dégâts dans toute la Suisse

Genève n’est pas le seul canton touché par ce gel printanier qui s’est abattu sur toute la Suisse. «Selon nos premières estimations, en Valais, sur les 4875 hectares de vigne, 1000 sont détruits à 100% et 1000 autres à plus de 70%, surtout en plaine», indique Chantal Aeby Pürro, directrice de la Fédération suisse des vignerons. «Côté alémanique, en Argovie, 211 des 385 hectares sont touchés à plus de 60%. En Thurgovie, 205 des 257 hectares sont détruits à 80%!» ajoute-t-elle.

Dans le canton de Vaud, si les vignes de La Côte et de Lavaux ont été quelque peu épargnées, «il n’en va pas de même dans le Vully et le Chablais, où un tiers des parcelles a été touché à 80%, les deux tiers restants à 30%».

La proximité d’un lac, comme à Cologny (lire ci-dessus), n’est pas forcément un gage de protection. «A Zurich, 484 des 605 hectares sont touchés à 80%, poursuit la spécialiste. Et du côté des lacs de Neuchâtel et de Bienne, les dégâts sont aussi très importants.» La situation au Tessin n’est guère meilleure: une centaine d’hectares ont été impactés par le gel à hauteur de 20 à 90%.

Johann Schneider-Ammann, conseiller fédéral en charge de l’Economie, s’est rendu dans le Vully vaudois vendredi déjà, où il a pu constater l’ampleur du désastre, tant dans les vignes que dans les vergers. Et samedi, on l’a vu, la situation a empiré.

«Des discussions sont en cours avec la Confédération et les cantons, afin de voir s’il est possible d’octroyer des aides exceptionnelles aux vignerons les plus touchés, indique encore Chantal Aeby Pürro. Mais il faudra attendre les dix prochains jours, car le risque de gel est encore présent.»