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L’avenir du vin rouge liquoreux vaudois se dessine dans la neige

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Claude Béda
L’ultime vendange officielle, mardi à Chardonne, vise à produire un nectar pouvant régater avec les bons crus étrangers du genre.

C’est la première fois que je récolte du raisin dans la neige. Mais la fierté d’avoir enfin réussi mon coup me fait oublier le froid», sourit Daniel Dufaux. Le président des œnologues de Suisse est heureux: son rêve de déguster bientôt du chocolat avec un bon vin rouge liquoreux vaudois, rarissime, voire inexistant pour l’heure, est en passe de se réaliser, au terme d’une expérience qui constitue une première dans le pays.

Des tentatives avortées

Dans le vignoble En Charmigny, à Chardonne, la vision est surréaliste, en ce mardi jour de l’Indépendance vaudoise. Une quinzaine de vignerons frigorifiés jouent du sécateur dans la neige entre les ceps de malbec et de cabernet franc. L’enjeu est de taille. Il en va d’une action de diversification des vins vaudois. «Cela fait depuis 2009 que j’essaie de créer un vin rouge surmaturé sur la durée», poursuit Daniel Dufaux. Le Montreusien, également directeur de Badoux Vins à Aigle, a d’abord tenté l’expérience dans le Chablais avec du pinot. Plusieurs échecs l’ont conduit à la poursuivre avec du malbec et du cabernet franc: «Ces deux cépages sont très résistants au froid, explique-t-il. De plus, ils parviennent tardivement à maturité et sont donc moins exposés aux attaques de la mouche suzukii, qui avait réduit mes précédentes tentatives à néant.»

«Un flétrissement idéal»

A la vigne En Charmigny, située dans le périmètre de l’appellation Saint-Saphorin, le résultat est probant: «Ces grains sont magnifiques, s’exclame Jean-Pierre Lüthi, responsable des vignobles de Badoux. Sans aucune pourriture, leur flétrissement est idéal, comme le dénote leur aspect de raisin de Corinthe ayant préservé un peu de rondeur et d’humidité. Merci à la nature de nous avoir donnés de la sécheresse puis du froid!»

Durant l’année écoulée, les conditions ont, en effet, été parfaites pour mener à terme cette expérience inédite. Après un printemps pluvieux, l’automne s’est heureusement montré radieux et pas trop venteux. Et le mois de décembre a été le plus sec de tous les temps. La neige, elle, n’est pas tombée en assez forte quantité pour faire dégringoler les grains de leur grappe. «Avec ce flétrissement magnifique et la belle quantité de grains qui subsiste, je sais d’ores et déjà que l’expérience est une réussite, s’enthousiasme Daniel Dufaux. Il n’y a qu’à goûter le raisin pour s’en convaincre. Il y a là une concentration de 160 degrés Œchslé, au moins.»

Au final, ce sont 600 kilos de raisin qui ont été récoltés sur 1000 m2 de vigne, soit deux barriques de 225 litres. Le malbec et le cabernet franc seront vinifiés ensemble. Et le nectar sera ensuite réparti dans 1200 demi-bouteilles de 37,5 centilitres. Il ne pourra néanmoins être dégusté qu’au printemps 2018.

Bis prévu l’an prochain

L’opération sera reconduite l’an prochain dans la même vigne. Peut-être sur une parcelle plus grande. Car Daniel Dufaux entend s’engouffrer dans la brèche de ce produit de niche, au moment où la viticulture suisse perd chaque année des parts de marché par rapport à la concurrence étrangère, surtout dans le secteur du vin rouge.

«Ce vin doux suscitera à coup sûr un intérêt marqué de la clientèle, d’autant plus que, pour l’heure, elle n’en connaît pas encore le goût, cette forme de surmaturation avec du malbec et du cabernet franc n’ayant jamais été réalisée, anticipe Daniel Dufaux C’est en tout cas une excellente opportunité de démontrer le savoir-faire vaudois.»

 

La plus aromatique des vendanges

«Même si le risque existe de tout perdre en cas d’arrivée de chaleur ou d’humidité, il y a un réel intérêt à différer au maximum la récolte de raisin surmaturé sur souche, explique Daniel Dufaux. Car c’est la méthode d’élaboration d’un vin doux qui donne la plus grande complexité d’arômes.» Cette technique ne doit pas être confondue avec celle du vin de glace, élaboré à partir de raisins mûrs vendangés gelés, qui possèdent naturellement une forte teneur en sucres résiduels. Autre procédé de création d’un vin doux: la cryoextraction artificielle, permettant, à l’aide d’un congélateur, de séparer les raisins les moins sucrés qui sont congelés, alors que les grains les plus riches en sucre ne le sont pas. Il est aussi possible de couper les grappes, puis de les mettre à sécher à l’abri. Ce qui donne le vin de paille. Il s’agit, là aussi, d’une méthode de surmaturation du raisin par dessèchement, mais hors souche. Lorsque l’on garde le raisin sur pied à la limite de sa maturité, il faut néanmoins surveiller de près l’acidité, vitale pour préserver l’équilibre du vin doux.