José Vouillamoz - La science éclairante du biologiste revenu au pays
- Lundi 30 octobre 2017
Disséquer l’ADN des cépages pour mieux en comprendre l’origine, voilà la passion d’un scientifique épris de découvertes et de vérité. Quitte à ébranler un peu au passage quelques certitudes ancestrales bien établies.
A l’image de bien d’autres activités séculaires solidement ancrées dans leur terroir, la viticulture a longtemps cultivé jalousement ses propres croyances. Certaines idées reçues, dont la perpétuation de génération en génération avait conféré valeur de vérité, confinaient au sacré. Y toucher s’avérait sacrilège; l’impénitent qui s’y risquait - traité de tous les noms d’oiseaux - était prié de passer prestement son chemin.
Il s’agit là d’un temps pas si lointain que José Vouillamoz, la quarantaine largement entamée, a bien connu. Difficile pourtant de voir en lui un quelconque iconoclaste, un rebelle aux contestations gratuites et infondées. L’oeil malicieux, l’homme se montre volontiers facétieux; mais rien ne semble indiquer qu’il soit habité par le diable. C’est pourtant lui qui, grâce à sa curiosité et sa science, s’est fait le découvreur de vérités - aussi incontestables que dérangeantes aux yeux de certains - liées à l’origine de cépages valaisans notamment.
Né à Saillon au sein d’une famille ne possédant pas de vigne, il montre dès l’adolescence un intérêt pour le vin, recommandant la production de certains viticulteurs à son père. «Au milieu des années 80, il était entendu en Valais que le vin du canton était le meilleur du monde. Il me semblait pourtant - sans y connaître grand chose - que la qualité n’était pas homogène. Certains vins étaient plus réussis que d’autres. Les «il n’y en a point comme nous» m’ont donc parus un peu suspects. Il me fallait aller voir ailleurs pour mieux comprendre», confesse-t-il aujourd’hui.
Le monde viticole ne s’arrête pas aux frontières
Il profite ainsi quelques années plus tard de ses études en biologie menées à l’université de Lausanne pour consacrer son maigre pécule à l’exploration des rayons «vin» des supermarchés environnants. Guide du célèbre expert Hugh Johnson en poche, le voilà en quête de références étrangères à sa région natale. «A vrai dire, je n’y comprenais rien. Tout me semblait tellement compliqué! L’objet de ma quête se réduisait alors aux bouteilles cotées 2-3 étoiles dont le prix ne dépassait pas dix francs». A force de dégustations, le palais se forge, les connaissances s’accumulent et certains dogmes reçus en héritage volent en éclats. Non, la carte du monde viticole ne s’arrête pas, en terme de qualité, aux seules frontières de son canton d’origine!
A l’issue de ses études, José Vouillamoz dispose d’un double bagage: académique pour la biologie, et plus expérimental en ce qui concerne le vin. C’est alors que germe l’idée d’associer connaissances théoriques et passion grandissante: pourquoi ne pas réaliser un post-doctorat à Davis, en Californie, aux côtés de Carole Meredith? Célèbre pour avoir reconstitué la parenté du cabernet sauvignon, la professeur s’avère en effet une pionnière en matière d’analyses ADN. Et comme tout reste à faire en ce qui concerne les cépages valaisans, le projet de José Vouillamoz retient l’attention du Fonds national suisse pour la recherche scientifique qui lui attribue une bourse.
Une longue histoire débute ainsi, à l’aube des années 2000, pour ce scientifique féru de vigne et curieux de ses origines. L’analyse du patrimoine génétique des cépages indigènes - ou supposés tels jusque-là en Valais - révèle son lot de surprises, d’incompréhension et d’agacement même chez certains. Pour José Vouillamoz cependant, ce séjour américain d’un an vient surtout confirmer l’intérêt d’investiguer un champ d’étude à la fois immense, passionnant et encore largement inexploré.
Partir à la découverte du patrimoine ampélographique mondial sonne dès lors à ses oreilles comme un appel irrésistible. La tâche s’annonce titanesque et dépasse largement les seules capacités du scientifique rentré au pays entre-temps. «Imaginez qu’à l’origine, il y a une espèce botanique complètement sauvage, Vitis vinifera, présente sur terre depuis plusieurs millions d’années et encore visible aujourd’hui du Portugal au Tadjikistan. Sa domestication par l’homme n’intervient que très «récemment», aux environs de 8’000 ans avant J.-C., dans le sud-est de l’Anatolie selon toute vraisemblance. Sachant que chaque pépin dispose du potentiel génétique pour donner un nouveau cépage, le champ d’investigation s’avère infini sur une période aussi longue», explique le spécialiste.
Le livre "Wine Grapes" une étape importante
C’est alors que les contacts établis en Californie notamment permettent, à la faveur d’un concours de circonstances, de lancer concrètement ce projet insensé: recenser tous les cépages au monde utilisés pour réaliser un vin commercialisé. Après quatre ans d’intenses recherches, le livre intitulé Wine Grapes voit enfin le jour en 2012. Rédigé par le trio Vouillamoz-Robinson-Harding, l’ouvrage détaille pas moins de 1’368 cépages et constitue depuis sa parution une référence mondiale incontestée.
Utile aux spécialistes, Wine Grapes révèle surtout aux yeux de tous l’importance du patrimoine ampélographie représenté par les cépages «oubliés», notamment en Suisse. Plus sensibles aux maladies, moins productifs ou à l’origine de baies moins sucrées, ils ont fait les frais d’un désintérêt croissant. Jusqu’à disparaître complètement pour certains d’entre-eux lors de l’apparition du phylloxéra. «Seul un travail scientifique sérieux, étayé par des preuves irréfutables, pouvait déboucher sur une véritable prise de conscience collective. Toute une richesse ampélographique était encore accessible, il suffisait de la révéler pour espérer endiguer - même modestement - l’uniformisation des cépages cultivés. L’ouvrage a contribué à faire évoluer les mentalités et parfois même à relancer d’anciens cépages», précise-t-il non sans fierté.
Une belle satisfaction pour celui qui, gamin, se rêvait astronome. Ses étoiles ont pour nom completer - son cépage suisse préféré -, durize, cornalin, lafnetscha ou encore bondola. Elles font briller les yeux de bien des viticulteurs et vignerons désormais, conscients de l’intérêt de valoriser des produits bien souvent uniques, recherchés par bien des amateurs pour leur authenticité et leur saveur.