Interview de Julien Fournier par France Massy
- Samedi 12 novembre 2016
Jusqu’au 26 octobre 2016 à 22 h 30, dans le grand public, personne – ou presque – ne connaissait son nom. Propulsé sous les projecteurs lors de la soirée de gala du Grand Prix du vin suisse, Julien Fournier rafle une nouvelle palme. Le jeune œnologue a séduit les internautes et le jury du «Nouvelliste» dans la course au titre de ValaiStar. Un peu normal, en plein vendémiaire, qu’on craque tous pour un champion du jus d’octobre.
Julien Fournier, dès votre premier millésime à Vétroz, vous engrangez les médailles et la Régence Balavaud est sacrée Cave suisse de l’année. Aujourd’hui, vous êtes nommé ValaiStar. Tout ce succès, ça enivre?
Non. Honnêtement, après le Grand Prix du vin suisse, je n’ai pas eu le temps de réaliser ce qui arrivait parce qu’on était en pleines vendanges. Même si ce soir-là on plane un peu, qu’on a du mal à s’endormir, le lendemain on est vite ramené sur terre car il faut retourner à la cave pour gérer tout le travail courant et organiser la suite. Il faut penser marketing, essayer de surfer sur la vague, rebondir le plus vite possible. Et en même temps, il faut rentrer 10 tonnes de vendanges, donc on n’a pas trop le temps de s’envoler.
Comment a réagi votre entourage?
Le lendemain du Grand Prix du vin suisse, j’avais 150 messages de félicitations par SMS ou sur mon compte Facebook, et évidemment ma famille était très, très fière. Ça fait plaisir.
Notre canton regorge de vignerons-encaveurs de talent. Vous ne craignez pas que certains aient la gueule de bois en vous découvrant ValaiStar du mois d’octobre?
Même si indéniablement on peut toujours avoir un petit pincement de jalousie, je ne le pense pas. Je ne l’espère pas en tout cas. Je ne vois pas ce type de distinction comme une concurrence mais comme une occasion de mettre en avant notre métier. Quant au titre de Cave suisse de l’année, c’est une aubaine pour Vétroz où il y a déjà de très bons vignerons, notamment Serge Roh, Romain Papilloud, André Fontannaz… Je ne pense pas être à leurs niveaux, je n’ai pas leur expérience mais peut-être que la Cave suisse de l’année va attirer des curieux à Vétroz qui seront intéressés par les autres caves du coin.
Y a-t-il une ou des stars du monde viticole suisse ou international qui vous inspire?
Je n’ai pas vraiment de modèles. Il y a une manière de faire ou des vins coup de cœur que j’admire dans beaucoup de caves, mais je n’ai pas envie d’imiter qui que ce soit. J’essaie juste de faire mon travail le mieux possible.
A ce propos, est-ce que la nouvelle génération d’encaveurs se rencontre parfois? A l’image de Madeleine Gay, Dominique Rouvinez, Axel Maye, Denis Mercier, Marie-Thérèse Chappaz, Marie-Bernard Gillioz, Maurice Zufferey et d’autres qui organisaient régulièrement des dégustations à l’aveugle de leurs crus pour progresser ensemble…
Pas forcément la nouvelle génération, mais il y a des groupes composés d’anciens et de jeunes œnologues avec qui je déguste régulièrement. Ce qui est encore mieux à mon avis car avec plusieurs générations, on peut profiter de la sagesse des uns et de l’audace des autres.
Comment voyez-vous l’avenir de la viticulture valaisanne?
La viticulture en Valais s’est beaucoup professionnalisée ces dernières années. Elle doit continuer dans cette voie. Les vignerons du samedi, c’est fini. Ici, je n’ai gardé que des fournisseurs dont la vigne est le métier. C’est une garantie de qualité. Ils sont plus à l’écoute de l’adéquation terroir-cépages, du respect du sol et de la plante.
En parlant de respect du sol, vous êtes plutôt bio ou production intégrée?
Je ne suis pas partisan du bio. Du tout. C’est pas dans l’air du temps, mais je vous explique ma position. Leur communication trompe le consommateur. La plupart du temps, la personne qui achète une pomme bio pense que le fruit n’a reçu aucun produit. Peu de gens savent que le bio utilise des métaux lourds. Du cuivre notamment. Et ça en quantité plus importante qu’un vigneron qui pratique avec rigueur la production intégrée (PI). Les vignes traitées en bio reçoivent un traitement par semaine alors qu’en PI on peut se limiter à sept traitements sur tout le cycle de végétation. Pour moi, un vigneron adepte de la production raisonnée ou PI, qui est à l’écoute du sol, de la plante et qui est attentif aux conditions météorologiques, fera des traitements plus respectueux (parce qu’ils sont bien dosés) que celui qui va quatre fois par mois avec son tracteur dans le vignoble. Parce qu’un tracteur est aussi une source de pollution et de tassement du sol.
Et la biodynamie?
Il faut y croire. C’est une sorte de philosophie. Mais je suis un peu trop cartésien pour y adhérer.
Changeons de partition. Il paraît que vous êtes un grand musicien?
C’est vrai qu’à côté de mon activité professionnelle, je consacre la plupart de mon temps à la musique. Je suis le principal cornet de l’Ensemble de cuivres valaisan. On vient de gagner le Swiss Open à Lucerne et là on se prépare pour les championnats suisses à Montreux où on était deuxièmes en 2015.
Avez-vous pensé à devenir musicien professionnel?
Oui. Lors de mon école de recrue, on m’a conseillé de me lancer dans une carrière de musicien. Mais j’ai décliné car depuis l’âge de 8-10 ans, je savais que je voulais devenir œnologue.
Il y a des parallèles entre la musique et le vin…
Mine de rien, faire du vin ça a un côté artistique. Même si on laisse la nature faire une grande partie du travail, on crée un vin. On l’imagine. On le rêve aussi un peu…
Selon vous, la musique que l’on écoute en buvant un vin a-t-elle une influence sur sa perception?
Ce qui est sûr, c’est que la musique joue sur notre humeur, sur notre état d’âme et comme notre état d’esprit modifie la perception du vin, pourquoi pas...
Quel style de vins aimez-vous?
J’aime les vins sur la finesse et l’élégance. C’est ce que j’essaie de faire à la Régence Balavaud. J’aime la typicité mais sans aller dans l’excès. Les vins trop opulents, c’est pas mon truc.
Donnez-nous quatre vins valaisans que vous avez aimés récemment.
Aïe. Il y en a beaucoup. S’il faut en choisir quatre, je dirai le fendant de Nicolas Cheseaux de la cave Corbassière à Saillon. Très frais, avec une grand buvabilité. La syrah de Jean Carrupt, la Petite Cave à Chamoson. Incroyable de typicité, sans tomber dans l’excès de poivre. Le diolinoir Domaine de l’Evêché de Provins, parce qu’en jouant sur des petits domaines, la plus grande coopérative du pays arrive à faire des vins d’exception. Le rouge du Domaine de La Rameau, de David Carruzzo à Chamoson. Un assemblage qui varie selon les millésimes mais qui est toujours une valeur sûre.