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Fidèle à la vigne, le chercheur relativise aux sommets

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Cécile Collet, photo Florian Cella
Olivier Viret, le nouveau chef du Centre de compétences vitivinicoles et cultures spéciales du Canton de Vaud a toujours gardé le cap sur la vigne.

C’est une bestiole peu avenante qui nous accueille dans le bureau d’Olivier Viret, sur le site de Marcelin. Placardé au mur, le Typhlodromus pyri agrandi au centuple est pourtant un ami. «C’est l’exemple de la lutte biologique par excellence!» s’emporte, radieux, le nouveau chef du Centre de compétences vitivinicoles et cultures spéciales du Canton. En effet, l’acarien, prédateur de ses cousins néfastes pour la vigne, a permis de réduire presque à néant l’utilisation d’acaricides sur les cultures. «On a mis dix ans pour implanter cette petite bête dans le canton, se souvient le chercheur. En réduisant les fonds pour la recherche, on s’empêche ces possibilités.»

L’échange rapide, vif, autour de ce qui reste tout de même un acarien, résume bien le personnage. Olivier Viret est un chercheur, un scientifique pointu dans le domaine de la phytopathologie, qui vient tout juste de claquer la porte de la station fédérale de Changins-Wädenswil, après 25 ans de bons et loyaux services. Mais c’est aussi un vigneron, amoureux des parchets et proche du travail de la terre, dont le parcours privé et professionnel témoigne de cet attachement sans faille.

Olivier Viret a rencontré la vigne alors qu’il était enfant. «Mon grand-père la cultivait, en vigneron du dimanche, et nous devions participer. On la trafiquait de manière relativement ancestrale», se souvient-il avec tendresse, actionnant les ridules autour de ses yeux, témoins de fréquents sourires. Le devoir de gamin ressurgira après le gymnase comme une envie tenace. Des études? Non, le fils d’ouvrier sera vigneron! Son apprentissage à Saint-Blaise, chez Kuntzer, tisse un fil rouge qu’il ne lâchera plus. Des bases solides auxquelles, arrivé dans les hautes sphères, il se réfère toujours. «Mon CFC a été un atout fantastique, une étape que je recommande à tous avant des études universitaires», dit celui qui participe dorénavant à la formation des futurs vignerons-œnologues. Ingénieur agronome EPFZ, détenteur d’un doctorat en mycologie, le Biennois a gravi les échelons sans jamais tourner le dos à son amour de jeunesse. «Il a toujours voulu revenir à la viticulture, témoigne François Murisier, ancien responsable de la recherche en viticulture à Agroscope. Il disait souvent: moi, d’abord, je suis vigneron!»

Cet attachement au terroir fait de lui un «excellent vulgarisateur», proche des préoccupations des vignerons – et pas que des Vaudois: quadrilingue, il traduit en ce moment en italien un ouvrage sur la taille de la vigne – plus que de ses éprouvettes ou des cérémonies officielles, indique François Murisier, qui «apprécie la franchise» de cet homme «direct et clair». «Il ne prend pas de pincettes. C’est un fonceur: il sait écouter, prendre des avis, mais après, il faut que ça avance. Je l’ai vu s’impatienter face à des freins qu’il estimait injustifiés. Et je l’ai senti blessé par le changement opéré à Agroscope.»

La dérive du tout bio

Olivier Viret admet que s’il a quitté Changins, c’est qu’il n’adhérait plus. «Devoir répondre seul aux questions liées à la protection des végétaux (ndlr: dont il était responsable) sous la pression sociétale, politique et financière que l’on sait, ça épuise.» D’autant que les réponses ne s’obtiennent pas en un claquement de doigts. Les dix ans qu’il a fallu au typhlodrome n’en sont qu’un exemple. La création du cépage résistant Divico ou encore la mise en place d’Agrométéo, réseau microclimatique de prévision des risques, en sont d’autres, pour lesquels Olivier Viret a mouillé la chemise sur le long terme. «L’histoire montre que notre méthodologie sert d’exemple ailleurs, mais ce n’est que le phytosanitaire qui intéresse et fait réagir, dans une société qui n’a jamais eu autant de véhicules et de médicaments!»

La voix s’enraye. Le thème du vigneron empoisonneur, auquel un raccourci oppose aujourd’hui souvent le producteur bio, est sensible. «Bien sûr que je m’engage, également à Marcelin, à travailler pour l’écologie, mais le bio n’apporte pas toutes les solutions.» S’il fallait prouver son engagement, un petit tour du côté de Bassins, où Olivier Viret cultive au quotidien et en famille un potager de 300 m2 à côté de sa maison, montre que le spécialiste du phytosanitaire est un «écologiste dans l’âme». «Nous sommes autonomes en légumes», annonce-t-il simplement. Les variétés cultivées là sont cuisinées à midi par son épouse, le soir par lui, un «deal» qui tient depuis 25 ans. Les deux se sont rencontrés lors de leurs études à Zurich. Beate, fille de paysans du Liechtenstein, est aujourd’hui spécialisée dans la biodiversité à Changins. «Nos trois enfants connaissaient le nom latin des plantes», s’amuse-t-il.

La montagne, fatale mais vitale

Et quand il ne cultive pas son jardin? «Je fais de l’alpinisme depuis toujours. Enfant, notre père nous a initiés à la peau de phoque avec des chaussures de ski qu’on laissait ouvertes.» Ce père fera les frais de sa passion: il disparaît à l’âge de 46 ans lors d’une expédition dans l’Himalaya. «Ça a été un choc familial», lâche pour tout commentaire celui qui devient orphelin à 18 ans. Malgré le choc, la montagne lui reste vitale. Membre du comité de la Cabane d’Arpitettaz, à Zinal, trois fois patrouilleur, il grimpe régulièrement aux sommets. Notamment avec Claude Robert, ami et compagnon de cordée, qui accompagnait son père lors de la course fatale. «On fait de la montagne pour le plaisir, sans partir dans l’extrême, précise le Chaux-de-Fonnier. Olivier a un caractère très fort: il n’abandonnera pas, mais il sait renoncer quand il y a trop de danger, il sait que la montagne est plus forte.» Contemplatifs, les deux amis ont souvent partagé, silencieux, la vue imprenable sur cette «nature hostile recelant des beautés incroyables». «Regarder la Voie lactée, songer à l’infini, cela permet de tout relativiser, conclut Olivier Viret. Mais aussi de mettre de la philosophie dans un monde où tout est devenu matériel.»

 

Biographie

1963 Naît le 18 novembre à Bienne. 
1981 Décès de son père lors d’une expédition dans l’Himalaya, peu avant sa maturité gymnasiale. Commence un apprentissage de vigneron-encaveur. 
1983 Entre à l’EPFZ en agronomie et production végétale, où il rencontre Beate, son épouse. Naîtront Nora (1994), Rachel (1995) et Basil (1998). 
1989 Son diplôme en poche, part six mois en Australie, chez Penfolds, plus grand et plus ancien domaine viticole du pays. Il y découvre «des vignes au kilomètre, la mécanisation partout, une libéralisation totale» et apprend l’anglais en autodidacte. 
1993 Entre à Changins, où il occupe différents postes, dont celui de responsable national pour la recherche en viticulture. 
6 avril 2016 Les 24 cadres d’Agroscope sont licenciés et invités à repostuler pour 10 places. Il est réengagé. 
2017 Le 1er janvier, devient chef du Centre de compétences vitivinicoles et cultures spéciales du Canton.