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Cépages: l’or ancestral du Valais

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Nicolas de Neve

Images: Stéphane Defayes (56 ans), Didier Joris (59 ans) et José Vouillamoz (45 ans), Olivier Pittet (41 ans)
 

Avec sa douzaine de cépages indigènes, le Valais s’apparente à une terre bénie pour une viticulture d’exception. Un particularisme pourtant extrêmement fragile. 

Terre de vignes hors norme à plus d’un titre, notre pays s’apparente à un cas à part dans l’univers viticole mondial. À titre comparatif, avec nos 14 793 hectares répertoriés en 2015 sur tout le territoire (dont 4976 ha en Valais), nous sommes loin des 120 000 hectares que compte la région bordelaise à elle seule; et que dire du million d’hectares de vignes espagnoles. Pourtant une spécificité nous distingue: la diversité de nos cépages indigènes sur une si petite surface. «Je préfère la dénomination d’indigène à celle d’autochtone, explique le biologiste José Vouillamoz (45 ans), docteur ès sciences. D’un point de vue étymologique c’est plus juste.» Au total, on en dénombre 76 en Suisse dont 25 en Valais si l’on inclut les croisements historiques. Sans ces derniers, le chiffre se rapporte à 18, dont 12 rien qu’en Valais. Une terre bénie. Et depuis quelques années, certains d’entre eux s’imposent désormais comme valeur forte de l’identité viticole valaisanne, à l’instar de la petite arvine, de l’amigne ou encore de l’humagne blanc. Une évidence qui a pourtant failli ne pas voir le jour sans la détermination de quelques passionnés amoureux des terroirs viticoles locaux.

Un choix cornélien

Pour comprendre toute la difficulté à faire vivre ces précieux cépages, direction l’exploitation Defayes & Crettenand, à Leytron. Au total 6 hectares de vignes dont plus de 3,5 dévolus à quatre cépages emblématiques: l’arvine, l’humagne blanc, le cornalin et l’humagne rouge. «Les premiers cépages que mes parents ont plantés étaient du cornalin et de l’humagne blanc, explique Stéphane Defayes (56 ans). Certaines vignes ont plus de 50 ans.» Force est de constater que ces cépages valaisans ont souffert durant le XXe siècle de leur complexité d’élevage. Ils ont donc été massivement remplacés par des variétés venues d’ailleurs, certes, mais plus faciles à cultiver. «Encore maintenant, il faut être réaliste. Prenez un cornalin: c’est un cépage capricieux et difficile! À la vigne, il exige les meilleures expositions, des soins particuliers. Il est sensible à la carence magnésienne et il ne supporte pas la médiocrité. Pour donner un vin de qualité et de caractère, sa production ne doit pas dépasser les 800 g/m2. Avec toutes ces contraintes, il est évident que ce cépage ne peut être planté n’importe où et qu’il est réservé aux vignerons passionnés par son caractère unique et authentique.» Preuve en est: le pinot noir est actuellement l’un des cépages les plus répandus en Suisse romande. Et il représente à lui seul plus de 30% de l’encépagement valaisan. À la question de savoir si la culture de variétés indigènes à plus grande échelle pourrait séduire les professionnels, notre interlocuteur reste perplexe, mais néanmoins optimiste. «Cela se fera, probablement à petite dose car ces cépages sont très exigeants et demandent le meilleur pour exprimer tout leur potentiel. Le challenge est toujours le même: pérenniser nos cépages ancestraux tout en atteignant un juste équilibre financier qui permette d’en vivre. Une équation difficile au quotidien, mais un véritable défi à relever.»

Les plus grands vins

Mais alors, quelles sont les forces et les faiblesses de ces cépages indigènes dont le consommateur commence doucement à découvrir le potentiel? «D’un point de vue scientifique, la force des indigènes réside dans le temps qu’ils ont eu à disposition pour s’adapter à leur terroir, explique José Vouillamoz. Passons les détails scientifiques complexes. Prenez, par exemple, un pinot noir produit à Romanée-Conti en Bourgogne, berceau historique de ce cépage. Il a eu plus de mille ans pour s’y adapter. Vous le plantez ailleurs, comme c’est le cas depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Vous pouvez être le meilleur viticulteur de la terre, vous n’obtiendrez jamais un vin Romanée-Conti. Les plus grands vins du monde s’élaborent avec des cépages indigènes sur leurs propres terres.» Quant à leur faiblesse? Celle-ci semble se situer dans la problématique de se tailler une visibilité durable au sein d’une offre vinicole aujourd’hui mondiale, «d’autant lorsqu’on sait que la majorité du public retient cinq ou six noms au maximum». Alors le Valais, avec ses 12 cépages indigènes, une terre à très grands crus? Incontestablement, conclut José Vouillamoz. Je conseille d’ailleurs toujours aux viticulteurs locaux, d’ici ou d’ailleurs, de miser sur ces cépages. Ils seront les seuls au monde à pouvoir en tirer le meilleur et ainsi se démarquer. Le salut de notre viticulture valaisanne – et plus largement suisse – passera par sa qualité et ses spécificités.»

Un challenge au quotidien

Répertoriée comme l’un des plus vieux cépages valaisans, la diolle s’est retrouvée à un cheveu de l’extinction. Et c’est peu dire. Aujourd’hui 300 m2 ont été replantés; une parcelle unique au monde sur laquelle veillent deux très grands noms de la viticulture dans leur domaine respectif: le biologiste et docteur ès sciences José Vouillamoz et le vigneron-éleveur Didier Joris. «Quelqu’un ayant eu connaissance de mon travail de répertoriage des cépages en Suisse en 2005 m’a un jour téléphoné pour m’indiquer l’emplacement de deux ceps qui lui étaient inconnus, détaille José Vouillamoz. D’analyses ADN en retraçage des liens de parenté, j’ai trouvé que nous avions là un enfant de la rèze, un des plus vieux cépages du Valais, et même de Suisse puisque sa première mention connue remonte au 20 janvier 1313.»

Le premier document citant la diolle remonte lui à 1654 et le dernier à 1903, la décrivant comme sensible à la pourriture. Des trouvailles d’écrits issues de centaines d’heures de recherches dans les archives. Garantes des collections de cépages, c’est vers les stations fédérales que José Vouillamoz se tourne. Trois cents bois lui sont confiés. «Redonner vie et corps à la diolle avec les connaissances et les compétences de Didier Joris me semblait évident. Nous avons replanté en 2013 mais les porte-greffes étaient incompatibles. Nous avons recommencé l’opération en 2015.» Car c’est là aussi tout l’enjeu de la culture d’un cépage inconnu des professionnels: comprendre son comportement, sa résistance, sa capacité de développement, ses forces et ses faiblesses. «En clair, c’est comme partir d’une page blanche, détaille Didier Joris. Et nous la cultivons en mode bio, sans produits chimiques. Nous espérons une micro-vinification l’an prochain. Ce que l’on a constaté pour le moment sur quelques grains, c’est une belle acidité et un pH bas, environ à trois. Cela laisse augurer quelque chose proche de la rèze au niveau des composants analytiques et proche de l’arvine en termes d’arômes.»

Éviter l’extinction

Elle lui a été dépeinte comme grossière, rude et inintéressante. Pourtant, il en fallait plus pour décourager Olivier Pittet, ingénieur HES en gestion de la nature qui, après un passage à Agroscope en 2008, s’est pris de passion pour un cépage indigène au bord de l’extinction: la grosse arvine. «On ne me l’a vraiment pas vantée, sourit-il. Or, des écrits ont été retrouvés dans lesquels elle est relatée au XIXe siècle comme le fer de lance des crus de la Marque et de Coquempey à Martigny. Cela m’a interpellé.» Les deux dernières vignes connues de ce cépage, situées dans les vignobles de Martigny et de Chamoson, ont été arrachées dans les années 1990.

En 2008, quatre ceps étaient encore connus: deux dans la collection de la station fédérale à Pully (trouvés dans une vigne de petite arvine) et deux autres à Fully et à Saillon. Olivier Pittet s’est donc lancé dans un travail de prospection herculéen. À la clé? Une soixantaine d’individus retrouvés. Aujourd’hui, le professionnel veille chaque instant sur 500 m2 de grosse arvine. Une parcelle unique au monde. «Vous savez le plus incroyable? Si je n’avais pas entamé cette démarche pour conserver cette variété, elle disparaissait dans l’indifférence générale. Je me suis tourné vers le canton, la Confédération, des fondations privées: toutes les portes se sont fermées. J’ai donc assumé seul la multiplication des plants de grosse arvine pour la sauvegarder. 

À l’heure où l’on parle de terroir et de l’importance de veiller sur la biodiversité, c’est insensé. Aujourd’hui les choses bougent et des professionnels me contactent.» Alors comment décrire ce cépage? «C’est un croisement entre la rèze et un cépage inconnu; et il possède un lien de second degré avec l’arvine. Il apporte une touche d’acidité qui manque parfois dans la région. Actuellement son problème majeur, c’est la coulure. 
De fait, son rendement est de 400 à 500 g/m2. C’est certainement un problème de virose qu’il s’agirait, à l’avenir, d’éliminer.»

 

 

Questions à Ludovic Zimmermann, acheteur de vins chez Coop

Quelle est votre sensibilité vis-à-vis des vins issus de cépages valaisans? 
Ces cépages indigènes sont à la fois l’histoire et le renouveau des vins en Valais. Nous sommes très sensibles à leur typicité, il est très important que celle-ci soit respectée. Ces cépages évoquent des vins de plaisir et de puissance.

La clientèle est-elle sensible à la provenance des cépages? 
Oui, sa connaissance des vins suisses est même très affinée. Nos marques Fleur du Rhône, Bibacchus et Maître de Chais représentent les fers de lance et les garants de la qualité dans notre assortiment. La demande continue de croître.

Quels accords mets-vins feriez-vous avec une petite arvine? 
Elle est idéale avec la cuisine japonaise.

Avec un humagne blanc? 
Un plateau de fruits de mer.

Avec un humagne rouge? 
Du gibier.

Et avec un cornalin? 
Un plateau de fromages frais et aussi à pâte dure.